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Causons derechef
20 juillet 2015

Ediles zélés et purificateurs, n'effacez pas les traces de notre passé !

Il paraît que Manuela Carmena, nouvelle maire de Madrid, veut rebaptiser 150 rues ou places de la capitale qui rappellent le franquisme : place du Caudillo ou "Arriba España", rue Mola ou Yagüe, avenue des Morts de la Division azul... On peut se demander jusqu'où ira son zèle épurateur : effacer Calvo Sotelo qui, après tout, fut une victime ou dynamiter la "Valle de los caidos". Cela me rend un peu triste. N'allez pas croire que je sois un franquiste impénitent et que j'attribue à la dictature un bilan globalement positif, mais l'Espagne que j'aime est pour moi un tout comme la Révolution l'était pour Clemenceau. On n'efface pas brutalement 40 ans d'histoire. Les Espagnols les ont vécus avec des souffrances, des privations, la guerre civile, la répression, mais enfin ils ont été aussi parfois heureux. Je ne peux croire que beaucoup n'aient la nostalgie de ce passé tout en condamnant Franco et ses sbires. En tout cas moi qui aime l'Espagne, je l'ai. Je me souviens d'un pays, dans les années 60, qui ne ressemblait pas à la France, avec sa pauvreté digne et les frémissements d'un développement économique, j'aimais sa fière devise "Una, grande, libre" et la Guardia civil ne me paraissait pas plus redoutable que les Crs (ce en quoi je me trompais). Et quand je vois sur les murs d'une église de Galice ou du Leon, à moitié effacé par le temps l'insigne de la Phalange ou  la plaque qui rappelle la mort de José Antonio et de ses camarades por Dios y por España je suis ému, par le passé et sa trace et non par leur idéal. 

Cette trace du passé j'aime à la rechercher aussi dans mon pays, non tant dans le nom des rues qu'on a guère débaptisées depuis la Libération (la dernière sotte tentative a eu lieu à Champigny où la nouvelle municipalité a essayé d'effacer le souvenir de Georges Marchais qui incarne tout un pan important de l'histoire du pcf) que sur les murs. Quand j'étais jeune on y voyait encore des "Libérez Henri Martin" qui m'intriguaient (je ne connaissais alors de ce nom que l'historien du XIXème siècle...) et je finis par apprendre qui était ce marin rebelle et militant communiste anticolonialiste. Sur une école de hameau de mon village natal un militant avait peint en 1965 "Vive Mitterrand", en 1981 le slogan y était encore , en 1988 il y était toujours et même après 1996...Je suis à peu près sûr - il faudrait que je vérifie - qu'il n'a pas disparu. On peut tirer de cela trois conclusions : qu'on fabriquait à l'époque de sacrées bonnes peintures, que les luttes politiques sont courtoises dans l'ouest de la France et qu'on n'y barbouille pas les slogans de l'adversaire, et que Mitterrand comme Dieu est éternel. Un des plaisirs que je trouve à l'oeuvre des peintres "affichistes" Hains ou Villeglé et leurs collages (et aussi des photographes du Paris populaire dans l'immédiat après-guerre) ce sont les affiches à moitié déchirées qui convoquent à des meetings politiques dans des salles de boxe ou des stades disparus, à des réunions électorales sous des préaux d'école ou à de grandes manifs pour chasser " Ridgway la peste". Mais où sont les neiges d'antan ?...S'il fut une époque où le slogan fleurit sur les murs, ce fut bien Mai 68 et les années qui suivirent. Or tous ont disparu sauf dans quelques zones industrielles en déshérence pour appeler à la lutte contre un patron tyran. Désindustrialisation, dépolitisation des masses ? Peut-être mais surtout bétonnage et politique de nettoyage systématique des municipalités qui sacrifient à l'idéal esthétique petit-bourgeois : tout doit être net, propre, léché, béton, petites fleurs et affichage par panneaux lumineux. Les seules déviances prennent la forme de tags au message illisible et de toute façon vide de sens et sans la moindre petite trace d'engagement politique. Que tous ces épurateurs politiques ou esthétiques nous fichent donc la paix et nous laissent notre passé, eux qui n'ont que le mot avenir à la bouche. La petite musique d'hier vaut bien les lendemains qui chantent.

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