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Causons derechef
16 avril 2021

Eloge de Mitterrand

Ce titre peut sembler un peu provocateur après le rapport Duclert, mais après tout il ne s'agit pas de décerner un prix de vertu, juste de célébrer une forte personnalité qui faisait son chemin par-delà le bien et le mal. Plus grand monde ne le défend maintenant, le PS a très vite passé l'éponge sur les années-tonton et il ne reste que quelques grognards de la vieille garde : Védrine qui le défend comme il peut avec son talent, Jack courant toujours après une nouvelle prébende et complètement démonétisé, Joxe pitoyable vieillard libidineux. Et pourtant, comme il l'a dit le jour de son élection en 1981, "Quelle histoire!". Oui, quelle histoire que sa vie, si imbriquée à la nôtre!

Elle a commencé comme celle d'un bon jeune homme catholique de province, mis en pension chez les Pères à Angoulême. Ce jeune homme doué est envoyé à Paris pour poursuivre des études. Eh oui, Rastignac, notre provincial a dû y penser dans son foyer des Pères maristes qui fut sa pension Vauquer. Il passe des licences, suit des cours à l'école libre des sciences politiques, milite aux jeunesses Croix de feu, ce qui s'appelle jeter sa gourme. Vient la guerre : la sienne fut tout aussi belle que bien d'autres. Il est fait prisonnier, s'évade après plusieurs tentatives et se retrouve à Vichy. Rien de déshonorant pour un jeune qui s'intéresse à la politique et veut servir son pays, d'autant qu'il prend rapidement contact avec la Résistance, double jeu que beaucoup pratiquèrent par pragmatisme. La IVème république va-t-elle lancer sa carrière? on pourrait le croire : en 1947 il devient le plus jeune ministre du pays et occupera plusieurs portefeuilles au gré des alliances électorales tout en s'implantant dans la France profonde. J'aime à imaginer sa vie comme celle du héros des Horreurs de l'amour de Jean Dutourd : les réunions électorales sous les préaux d'écoles, la présidence d'une commission culturelle, les flâneries chez les bouquinistes des quais entre 2 sessions pour trouver le livre rare, et, bien sûr les aventures galantes. Tout, femmes, politique, pour la chasse au bonheur. Coup d'arrêt en 1958, il refuse de voter la confiance à De Gaulle. Mauvais calcul? trop grande confiance en soi? Quoi qu'il en soit, il rebondit et prend la figure du grand Opposant au Général par qui il sera honorablement battu aux premières présidentielles en 1965. Nouveau trou d'air en 1968 quand il déclare un peu prématurément "la vacance du pouvoir" et il repart au combat avec patience. Son cursus honorum, c'est la minuscule CIR, puis la FGDS, puis l'Union de la gauche (où cet anticommuniste de toujours avalera les communistes), jusqu'à ce que, au deuxième coup,il batte Giscard (peut-être en signant un accord secret avec Chirac, notre homme est retors...)

  Pas question de revenir sur sa politique pendant ses 2 quinquennats, sinon, peut-être dans ce qui a mis en relief le caractère de l'homme. C'est peu dire qu'il a bien profité de la Constitution de la Vème république et des pouvoirs étendus qu'elle donne au président. Dans son privé, il avait aussi tout du Prince : on sait qu'il avait l'habitude de se déplacer avec un petit groupe de féaux qui portaient qui son chapeau, qui son pardessus, et en personnage royal il n'avait jamais d'argent sur lui. Cet exercice solitaire du pouvoir a pu amener des catastrophes comme le génocide rwandais que j'évoquais au début du texte. Il aurait pu l'éviter s'il n'avait été victime d'un double aveuglement : sur un homme, le président rwandais et sur la politique étrangère. La sienne retardait parfois d'un siècle et il ne s'était pas aperçu que c'en était fini depuis longtemps des rivalités entre puissances coloniales. Il a évidemment connu la fameuse "solitude du pouvoir" mais s'en accommodait fort bien avec un petit groupe d'amis choisis, et cet orgueilleux les choisissait avec soin. Ce séducteur a aussi connu une histoire d'amour romantique qui a duré toute sa vie, mais cela ne le fait pas meilleur mari...Comme nos grands rois il a voulu orner Paris de monuments nombreux, avec des réussites diverses car il n'avait pas dans ce domaine le goût d'un Pompidou. Les variations de sa politique, le secret qu'il gardait sur sa pensée en ont amené beaucoup à se demander s'il était de gauche ou de droite. On peut au moins le créditer d'un anticommunisme sans faille :"les missiles sont à l'est et les pacifistes à l'ouest", d'un anticolonialisme assez ancien, mais je ne jurerais pas qu'au fond de lui-même il y ait eu grand chose de plus. Bien pis, si on en juge par les écrivains qu'il a fréquenté (pour moi c'est le critère essentiel) : Chardonne, Jacques Laurent, Jünger et d'autres presque tous de droite, on est tenté de le juger comme un ambitieux ne croyant qu'en lui-même, considérant peu ses semblables et sacrifiant toute idéologie au but qu'il s'était fixé. Après tout ce genre de héros séduit dans les livres. Et puis la douleur l'a humanisé. Tout grand que soient les Princes, quand le cancer les tenaille...mais il est resté jusqu'au bout plein de lui-même, se berçant de l'espoir d'une vie post mortem comme s'il pensait qu'un homme comme lui ne devait pas mourir (sa fascination pour le culte des morts égyptien). Un vrai personnage de roman qui fait paraître bien fades et petits ceux qui lui ont succédé. Alors, oui, hommage à Mitterrand, président de ma jeunesse.

 

Commentaires
L
Quand il est enfin parvenu à décrocher le vrai pouvoir en république, j'avais commencé à réfléchir. J'ai regretté qu'il s'incline devant les idéologues et nationalise à tout va et à 100%. Erreur fatale, les fonctionnaires ne font que rarement des chefs d'entreprise, il devra faire demi tour et renier ce qu'il avait vanté imprudemment mais il était arrivé alors, le reste... J'ai regretté la cour dont il s'entourait; on a vu ce qu'elle a produit dont un pauvre président dépassé non seulement par la charge mais peut-être surtout par lui-même. Non, je n'ai aucune admiration pour l'homme, aucun regret de sa politique, aucun regret de cette période.
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