François Mitterrand ou le coup de foudre permanent
Ma première réaction a été banale : "Mais pourquoi diable fait-elle publier tout ça, elle aurait dû le garder dans ses boîtes à chaussures où sa fille aurait trouvé lettres et journal et les aurait lus le soir à la chandelle..." Dieu me pardonne mais j'ai même eu la pensée peu élégante qu'elle faisait ça pour l'argent. Je me suis vite repris et à lire les critiques et les quelques extraits que le "Monde" a publiés j'ai compris qu'elle avait eu raison et surtout que c'était une marque d'amour et non une recherche du scandale. Cette publication complète et magnifie le personnage de François Mitterrand s'il en était besoin. Un héros de roman, on l'a souvent dit, dont la stature écrase les deux nains qui lui ont succédé, l'agité du bocal et le petit bureaucrate pépère (je mets Chirac à part parce qu'il fut lieutenant dans les Aurès en pleine guerre d'Algérie et pour son culte des arts premiers que je crois sincère). Résistant après avoir tâté de Vichy, jeune député et ministre bien décidé à conquérir le pouvoir, tramant des intrigues qui le menaient parfois à la limite de la légalité et lui valurent le surnom plutôt flatteur de "florentin" ou de Rastignac (aucun Charentais n'y échappe), enlevant à la pointe du sabre une SFIO moribonde dont il fait son instrument pour arriver enfin à l'Elysée (il y a un côté "hussard" chez lui qui appréciait les livres de ceux des années 50), séducteur impénitent, luttant deux septennats contre un cancer qui le rongeait..."Quelle histoire !" a-t-il dit pour tout commentaire le soir du 10 mai. En effet, et c'était la sienne. Pour brocher sur le tout il aimait la littérature et les écrivains qu'il recevait à sa table de Guimard à Jacques Laurent et de Semprun à Jünger (Hollande, il a fallu le forcer à lire La princesse de Clèves quand il était lycéen...). Après la gloire politique (il est en train de rejoindre De Gaulle dans notre panthéon), la gloire littéraire, cela l'aurait flatté. Du reste le coup n'a-t-il pas été préparé avec son amoureuse ? Ce qui le grandit par-dessus tout, c'est cette passion qui a duré plus de 30 ans. Devant une si fascinante histoire d'amour le reste paraît presque dérisoire et elle ferait un roman à elle seule digne, peut-être, des grands récits de passion. Au siècle passé on pense à Belle du seigneur d'Albert Cohen, mais la passion brûlante des deux amants s'effiloche et meurt sous l'effet du temps. Dans L'éducation sentimentale l'amour de Frédéric pour madame Arnoux dure (encore qu'il le renie au dernier chapitre : "c'est là ce que nous avons eu de meilleur") mais il ne couchera jamais avec elle. Comment notre héros réussissait-il à mener de front son combat politique (il semble qu'il y ait dans la correspondance beaucoup d'allusions à celle-ci), sa vie familiale avant de trouver un compromis avec son épouse, ses autres liaisons ?...Ce cloisonnement semble incompatible avec la passion et pourtant qui pourrait la nier si j'en juge par les extraits que j'ai lus et d'ailleurs qui pourrait mettre en doute le témoignage de la survivante ? Peut-on donc être "de feu et de glace" comme le dit le cliché ?Trouverait-on dans son compatriote Chardonne l'explication psychologique qui résoudrait la contradiction ? très "chardonnesque" d'ailleurs ce rejeton de bourgeois de province que foudroie la beauté d'un jeune fille de bonne famille catholique qu'on croirait sortie d'un roman de Giraudoux. Peut-être la passion bouillonne-t-elle en province et qu'y naissent les grands amoureux...En tout cas Mitterrand a mené une politique souvent discutable, n'a pas été le meilleur des époux ni le meilleur des pères, à la fois absent et écrasant, (sauf pour Mazarine, évidemment), mais pour cet amour il lui sera beaucoup pardonné.