Ma vieillesse :Je vais revoir des films et je relis mes livres
Quand les salles de cinéma ont été rouvertes à la suite du covid, les distributeurs ont d'abord manqué de films car beaucoup de tournages se sont arrêtés. Ils ont donc programmé des oeuvres assez anciennes dont ils avaient les droits. Puis la production est repartie et on a pu voir à nouveau des blockbusters américains, des films français "conscientisés" et quelques ofni venant d'improbables pays comme la Kabardino-Balkarie ou les Philippines. Mais dans les salles du Quartier latin qui sont les plus fréquentables de Paris on a alors (par économie?)multiplié l'offre de films patrimoniaux sous la forme de "Hommage à Tartempion", "le cinéma des années 70 ou l'innocence perdue", "les incontournables du cinéma italien", "thriller américains" (ce sont les thèmes de cette semaine). J'évite donc les films pour lesquels on a battu tambour : les niaiserie disneyennes, évidemment, mais aussi les films de cinéastes français qui "ont la carte" comme Ozon, les films gnangnan, le comique franchouillard...Je suis encore curieux de cinématographies exotiques (surtout asiatiques) mais je fais avant tout mon miel de ces plongées dans le passé. J'ai vu en général les trois quarts des films qu'on propose mais me délecte à en revoir un grand nombre.J'y trouve à la fois le plaisir attendu de scènes qui m'avaient marqué et une relecture du film me fait faire d'autres découvertes, je jouis à nouveau de la beauté des actrices ou des mimiques d'un comique, je me replonge dans la New York des années 70, celle de Woody Allen ou des polars, comme dans une ville familiére. Je me repais de films d'Autant-Lara (je viens de revoir son Occupe-toi d'Amélie et me suis gondolé),Henri Decoin ou Clouzot et j'y guette mes scènes préférées. Pourquoi ont-ils eu si mauvaise réputation à partir des années 60? j'ai conscience que tout cela est bien mélancolique et sent son "c'était mieux avant", mais ce sont là défauts de mon âge, qu'y faire?
Mais mon mal n'est-il pas bien plus grand? Je me suis aperçu que depuis des années, je ne lisais plus - ou peu s'en faut - mais que je relisais. Par lire, j'entends lire des romans. Je n'ai jamais été un gros lecteur d'essais, sauf les livres d'histoire. Du reste, comme il s'agit de la lecture comme passe-temps et plaisir, ce sont eux qui sont concernés avant tout. J'achète donc de moins en moins de livres. On ne pouvait déjà pas compter sur moi pour ceux de la "rentrée littéraire" ou les "prix" (il y a une ou deux exceptions que je ne nommerai pas pour ne pas faire rougir les auteurs...), mais maintenant je n'ai même pas l'envie de compléter une culture forcément lacunaire avec les classiques. Pourtant comme je connais mal la littérature russe (gap de civilisation?), le roman japonais ou plus près de nous le roman allemand du XIXème siècle ! Il est trop tard maintenant pour découvrir toute la richesse des Italiens et des Espagnols. Je vais bien encore en librairie par habitude mais en repars souvent les mains vides. Je ne lis pas moins, mais maintenant ma ressource presque unique est ma bibliothèque, la mienne car je suis allergique aux bibliothèques publiques. Je reprends un livre que j'avais bien aimé et il n'est pas rare qu'il me renvoie à un ou deux autres, et les livres s'entassent sur ma table de nuit. Quand je suis à court, je vais chercher dans un de ces écrivains qui parlent de leurs lectures (je pense à Gracq par exemple) et je trouve une nouvelle provende. Mon plaisir est grand de retrouver tant de pages familières (j'ai relu Proust pendant le covid ou plutôt je l'ai picoré), mais il y en a beaucoup d'autres : le début et les dernières pages de L'éducation sentimentale, la nuit où Hans Castorp séduit madame Chauchat, le début du Curé de Tours...Bon, je ne vais pas tous vous les faire...Une lecture- plaisir, donc, où l'on n'est pas arrêté par les mystères de l'intrigue, l'exotisme des personnages ou des lieux, voire les réflexions de l'auteur.J'ai bien conscience que mon monde se rabougrit comme ma vie, mais, au diable! Je me retourne vers mon passé pour en jouir, l'avenir et le monde ne m'intéressent plus.