Entendez-vous dans nos campagnes mugir ces féroces lyncheurs?
Ce fait-divers a failli passer inaperçu et pourtant il est plein de sens. A son propos Guillaume Erner sur "France-culture" a évoqué l'ouvrage de l'historien Alain Corbin Le village des cannibales qui décrit un épisode d'extrême violence qui se déroula dans le village de Hautefaye en Dordogne en août 1870. Un jeune noble y fut lynché puis brûlé vif par des paysans rassemblés pour un marché, qui lui reprochaient d'être républicain et espion prussien. Nous sommes ici dans un gros village de l'arrière-pays niçois, L'Escarène. Alertés par les cris d'une vieille femme qui vient d'être dévalisée chez elle, une trentaine de voisins se lancent à la poursuite du voleur présumé, lâchent un chien sur lui, le molestent violemment et l'auraient tué si un groupe de bons samaritains ne les avaient calmés avant de le livrer aux gendarmes. Deux jours après il mourait à l'hôpital victime de ses blessures.
Ce qui surprend d'abord, c'est le lieu du crime et les protagonistes. Les lynchages sont monnaie courante dans les banlieues des grandes villes et sont l'oeuvre de jeunes dévoyés qui se livrent au trafic de drogue. Nous avons apparemment affaire à des "braves gens" saisis d'une vertueuse indignation parce que le voleur s'est attaqué à une "mamie" sans défense. Dans leur élan, ils ne sont même pas assurés que c'était bien lui le voleur (il y a un doute). Il passait par là, peut-être même courait-il, cela a suffi. Faut-il aussi prendre en compte ce qu'a déclaré sa compagne :"on lui reprochait d'être arabe, ce qu'il n'était pas"? Dans le doute n'en rajoutons pas, d'autant qu'il portait un nom portugais. Autre chose curieuse, c'est que cette épisode inhabituel et violent, a été immédiatement occulté : le maire ne l'a appris que 4 jours après, les villageois interrogés depuis (l'affaire a été révélée 6 semaines après) par les journalistes prétendent tous n'avoir rien vu et les justiciers ne se sont pas vantés au café de leur exploit. Supposons chez les coupables honte et remords, mais demandons nous aussi s'il n'y a pas eu une volonté officielle d'enterrer l'affaire pour ne pas souffler sur les braises. Le village est dans l'arrière-pays d'une grande ville et reçoit peut-être plus souvent qu'il ne souhaite la visite de jeunes délinquants dont les méfaits et dépradations énervent les indigènes. Et nous rejoignons là le problème général de la sécurité. Peut-on dire, sans être accusé de complaisance envers Marine Le Pen et consorts, qu'elle est mal assurée dans notre pays et que beaucoup - souvent de petites gens - en souffrent. Ne revenons pas sur les causes nombreuses et ressassées, voyons plutôt les conséquences. La plus regrettable est que se développe la tentation de se faire justice soi-même devant l'incurie de l'Etat. Un journaliste rapprochait le fait-divers de l'Escarène de celui qui a vu un père de famille aidé de quelques amis corriger le violeur de sa fille. Et ainsi la violence, longtemps contenue aux villes, s'étend maintenant à nos paisibles campagnes. Sur quel Aventin pourrons-nous nous retirer?