Lectures de vieillard
Depuis des années j'achetais rarement les romans qui sortaient, attendant que le temps fasse son oeuvre et ne laisse surnager que ceux qui en valent la peine (qui sait? si j'avais encore 20 ans à vivre, j'aurais peut-être lu un jour Virginie Despentes ou Marc Lévy). Maintenant c'est encore pire : je vis en autarcie à peu près complète (je viens quand-même d'acheter La tour de Doan Bui qui célèbre(?) mon quartier et dont je parlerai un de ces jours, et aussi Guerre de Céline qui n'est pas vraiment une nouveauté). Je me contente désormais des ressources de ma bibliothèque que j'accrois tout de même un peu grâce aux conseils d'historiens de la littérature, d'écrivains ou de journalistes littéraires à classer dans la catégorie "contemporains morts". Quand je ne dépouille pas systématiquement ce genre de livres, je vais "par sauts et gambades", tout roman renvoyant à un autre, cité ou pas, par l'intrigue, les personnages, l'atmosphère...Je vais alors tirer le livre de ma bibliothèque et le mets sur ma table de nuit où il attend d'être lu, mais il faut prendre son tour. Qu'y a-t-il donc actuellement à mon chevet?
Le côté de Guermantes car j'ai décidé de relire une dernière fois La Recherche. J'en suis à la bouleversante mort de la grand-mère du narrateur. Soyons honnête, je saute parfois des pages : le Proust psychologue m'a toujours un peu ennuyé et la sonate de Vinteuil laissé froid, mais quel grand auteur comique! Ses portraits sont à la hauteur de ceux de La Bruyère, ses dialogues sont souvent désopilants, l'art avec lequel il imite les accents ou manie les niveaux de langue est magistral. Bientôt réapparaîtront Albertine et les affres de la passion, mon bonheur n'est pas fini.
On trouve aussi Le grand Meaulnes, par ricochets. Lisant La maîtresse du lieutenant français de John Fowles, je tombe sur un passage où il rapproche son personnage d'une maîtresse de Thomas Hardy qui avait avec elle des relations semblables à celle qu'avait Alain-Fournier avec la femme qui lui a inspiré le personnage d'Yvonne de Galais (vous suivez). Pour Fowles l'échec de ces deux relations seraient dû aux différences sociales. Je vais donc essayer de relire Le grand Meaulnes à cette aune.
Un compte-rendu d'une biographie des Goncourt où est cité Germinie Lacerteux m'a donné envie de relire ce roman naturaliste vaguement crapoteux qui fit scandale à sa sortie en dépit de l'écriture chantournée de ses auteurs. On sait en outre qu'il reflétait plus ou moins l'étrange triangle que les deux frères et leur bonne constituaient.
Il y a aussi le dernier livre de mon cher Javier Cercas. Dans ma jeunesse la littérature hispanique était essentiellement la littérature latino-américaine : on lisait Borgès, Carpentier, Cortazar, Garcia Marquez...D'auteurs espagnols contemporains, aucun ou peu s'en faut. Je crois que Cercas a été le premier et je l'ai découvert avec Les soldats de Salamine, inspiré par un épisode de la guerre d'Espagne,cette guerre qui m'a toujours fasciné comme les guerres carlistes et qui a beaucoup inspiré le romancier. Depuis j'ai à peu près tout lu de lui, ses romans-enquêtes où il est à la fois détective et écrivain. Son dernier roman, Indépendance, est un policier où un inspecteur de police enquête sur la pourriture de la bourgeoisie catalane indépendantiste. Rien ne peut plus me réjouir, moi qui voue aux gémonies les sécessionnistes de la généralité...En tout cas, j'ai découvert avec lui et quelques autres une riche littérature longtemps tenue sous le boisseau.
Enfin une auteure (c'est comme ça qu'on dit maintenant)! bon, voilà une phrase un peu provocatrice, mais je m'explique. Dans ma jeunesse Virginia Woolf représentait, avec Duras, une littérature dont beaucoup d'entre nous, jeunes gens, nous gaussions, et nous n'étions pas loin de dire que c'étaient des romans de bas-bleus pour les bas-bleus quand nous ne disions pas pire...). Puis je suis venu à Duras par l'Indochine et par son cinéma (enfin, n'exagérons pas, seulement India song). Pour Virginia Woolf ce fut un peu plus tardif. Un jour je suis devenu sensible à ces descriptions de la nature (les Anglais y réussissent admirablement), je n'ai plus été gêné par l'absence d'intrigue dans ses romans, j'ai apprécié la subtilité des dialogues de ses personnages dans de grandes maisons de campagne entre parties de tennis et thés. En un mot je vais relire Les vagues dont j'ai à peu près tout oublié et dont je sens que j'en tirerai du plaisir.
Enfin, il y a aussi un polar mâtiné de S-F : Diagnostic à haut risque de Patrick Guillain. Je lis peu de polars et encore moins de S-F, mais ma femme me l'a recommandé et je connais l'auteur par ricochet (ma vie est pleine de ricochets). Et puis, tiens, je vais vous appâter. Au seuil du livre, l'auteur nous avertit : celui-ci a été écrit avant que ne se répande le covid et toute ressemblance...C'est ce qui s'appelle avoir eu le nez creux, ce qui est bien le moins pour un chercheur.