Mon passe sanitaire et moi
Car, évidemment, je suis vacciné. Oh, pas pour des raisons honorables du genre "protéger mes semblables" ou "soulager les soignants dans la détresse", pas par peur, j'ose le dire, j'ai un âge où l'on devient un peu indifférent à la mort, et de toute façon un simple calcul de probabilité montre que le risque d'attraper le virus est minime. Non, je l'ai fait par pur égoïsme, pour hâter la réouverture des expos, des restaurants et, avant tout des cinémas dont je ne puis me passer. Je suis donc "provax", suis-je pour autant partisan du passe sanitaire dont certains disent grand mal? J'écarte tout de suite les soupçons d'espionnage par je ne sais quels pouvoirs occultes qui se foutent probablement de ma petite personne, laquelle n'a d'ailleurs rien à cacher. Je suis plus gêné par la ségrégation que cela entraîne de fait, alors que, si les vaccinés, eux, ne sont pas mis en danger, les antivax pourraient se mêler à eux en assumant le risque qu'eux seuls courraient. Mais, soyons honnête : ce qui m'embête le plus c'est de devoir dégainer mon passe à tout moment. Voyons un peu ce qu'il en est.
Première expérience mercredi : consultation dans un hôpital. Certains bons esprits s'indignaient qu'on pût contrôler les malades potentiels à l'entrée en criant à l'Absurdie. Ils avaient tort : je suis entré comme dans un moulin et les soignants n'avaient pas l'air si déprimés qui discutaient le bout de gras et fumaient une petite cigarette (merci de soutenir le moral des fumeurs) au soleil dans la cour. Deuxième expérience, la plus importante, le cinéma. J'ai commencé par un MK2 où je suis allé voir Old, de M.Night Shyamalan dont j'avais beaucoup aimé le Sixième sens. Un contrôleur juvénile armé de son smartphone a tenté de flasher mon PQR, sans succès : il était illisible. Il n'a même pas vérifié mon identité sur le document-papier et sur ma bonne mine m'a laissé entrer (le film ne vaut pas celui qui a lancé le réalisateur, mais se laisse voir).Le lendemain, direction Quartier latin pour revoir Le garçu de Pialat (Depardieu était vraiment l'acteur fait pour Pialat!). Un jeune homme timide essaie avec aussi peu de succès de me flasher. J'argue que je suis moi en brandissant ma carte d'identité. il en convient et, d'un air malheureux, me tend mon billet en me conseillant d'aller chez un pharmacien pour qu'il me donne une copie lisible du petit gribouillis. Pas de chance, mon pharmacien est aux Maldives! Intermède restaurant : le serveur me demande si j'ai un passe, m'invite à m'asseoir et revient jeter un vague coup d'oeil sur le précieux document que je remballe aussitôt. Un bon point. retour au cinéma pour Sembène, bio très hagiographique du "père du cinéma africain", mais qui ne pouvait qu'intéresser un vieux colonial comme moi. Là je tombe sur un vieux débris que les directeurs de salle doivent garder par charité. Il tourne et retourne mon document, approche et éloigne le scanner, s'aperçoit enfin que rien n'y peut mais je vois le moment, à son air renfrogné, où il ne va pas me donner mon billet, je prends alors un air encore plus méchant et il cède enfin. Au total je m'en suis bien tiré. J'attends quand-même avec curiosité qu'on me refuse une entrée afin de faire un esclandre. Ah, traiter enfin ces audacieux de collabos, de laquais de Macron,de Casteix au petit pied, non mais!