Un grand coup derrière la nuque...
J'avais imaginé de descendre un vélo de Paris à Royan, pedibus cum rotis. Promenade de santé, pensai-je, en suivant les voies cyclistes qui sillonnent maintenant nos vertes campagnes, leurs plaines et leurs sages collines, un terrain donc bien plus facile que l'Espagne que j'ai beaucoup pratiquée. Je t'en fiche! Arrivé à Tours, je suis monté dans une voiture-balai, en l'occurrence le train, pour achever sans gloire cette expédition dont j'attendais beaucoup de plaisir : je n'avançais pas, la moindre côte me paraissait pénible, je ne profitais même pas des beautés de la route, bords ombreux du Loir, églises, châteaux...J'ai essayé d'abord de mettre ça sur le compte d'une mauvaise organisation du voyage : mon vélo, mal révisé, était privé d'un nombre important de vitesses, je n'avais pas assez de cartes détaillées indispensables pour ce type de chemin où on change sans cesse de direction, d'autant que la signalisation routière est souvent défaillante, enfin je ne m'étais pas accordé assez de jours pour flâner, jouir de l'instant, jeter au moins un coup d'oeil aux châteaux qui font la gloire de cette région. Mais je n'étais pas dupe de ces prétextes : c'était tout simplement la vieillesse qui me tombait dessus. Déjà, l'an dernier, j'avais eu une alerte : j'étais un peu à la traîne de notre petite bande de quadras sportifs sur les routes et pistes de Thaïlande, mais enfin, je ne les avais jamais gênés. Là, si je n'ai gêné personne, j'ai pu prendre la mesure de ma déchéance : je ne compte plus le nombre de fois où j'ai mis pied à terre et je crois que le comble fut atteint en gare de Tours où une personne aimable et respectueuse des vieillards m'a aidé à hisser mon vélo dans un escalier. La honte! je trouvais lourd un vélo avec qui j'avais monté des cols et franchi des torrents en Espagne. Une page s'était tournée.
Tout cela signe la fin de mes voyages "sportifs" et un recroquevillement sur des activités de vieillard : la gym douce, la lecture sur canapé , la salle de cinéma matricielle. Finie l'Espagne, la Meseta qui déployait ses champs sous un ciel immense, les petites églises romanes de Cantabrie à la pierre dorée dont certaines portaient encore une plaque en souvenir de José Antonio et de ses compagnons, les "plaza mayor" avec leurs arcades, leurs pavés, leur Ayuntamiento avec les armes de la province et le drapeau sang et or, et leurs terrasses bruyantes (mais, je ne sais pas pourquoi, je supporte bien le bruit en Espagne), les tapas et la merveilleuse charcuterie asturienne, la cathédrale de Burgos et celle de Compostelle, les vins puissants de la Rioja et les réconfortante ollas podridas...Finie aussi l'Asie et les départs le matin où, avant d'enfourcher nos vélos, nous nous oignions précautionneusement de crème protectrice avant de donner une dernière caresse aux chats de la maison. Fini de pédaler à l'ombre des manguiers, de croiser dans les villages garçonnets ou fillettes habillés de bleu et blanc qui se rendent à l'école et nous saluent en riant, fini de marcher avec précaution sur des diguettes de rizières ou des sentiers de montagne, fini d'arriver le soir à l'étape où nous attendent une douche sommaire, un repas succulent et nos porteurs aux pieds légers qui nous ont précédés. Finis les sanctuaires bouddhistes perchés sur un piton, les marchés aux fruits succulents et aux fortes odeurs, le commerçant chinois qui attend le chaland assis devant sa boutique, le T-shirt retroussé jusqu'à la poitrine. Et les filles qui déambulent en couple, drapées dans leur sarong qui souligne leurs formes grâcieuse, sous leur ombrelle blanche. Faudra-t-il donc que je me contente de visiter les châteaux de la Loire ou les volcans d'Auvergne en car 3ème âge ou bien de faire des croisières en Méditerranée ou aux Antilles avec mes contemporains et des commerçants parvenus? Plutôt crever! Et puissent la littérature, le cinéma et la peinture remplir ma pauvre vie en attendant la mort.