Renaud Camus, écrivain maudit.
Pour la première fois de ma vie, j'ai dû commander un livre sur Amazon, et ce fut une souffrance pour moi, client fidèle des librairies où je passe des heures. Que la faute en retombe sur les libraires et les éditeurs dont la pusillanimité me prive depuis des années du Journal de Renaud Camus. Je vois déjà les cheveux se hérisser, les yeux étinceler, les narines se froncer à la seule évocation de l'auteur maudit, tapi dans son château gascon d'où il fulmine des textes scandaleux contre l'immigration, les moeurs de notre temps et France-cul. Suis-je, en le lisant, complice de ses crimes et dois-je battre ma coulpe? Voyons un peu.
Une chose m'émerveille, moi qui aime la littérature par-dessus tout, y compris dans son aspect histoire littéraire (merci Lagarde et Michard!), c'est cette coulée magnifique qui va du Journal des Goncourt à celui de Renaud Camus, en passant par ceux de Léautaud et de Matthieu Galey : 170 ans sans interruption depuis 1851 dans la littérature française. On peut, certes, ergoter sur leur caractère de "journal littéraire", proclamé par les deux frères et Léautaud, quand Galey et RC intitulent plus sobrement le leur "journal", mais ces derniers ont travaillé peu ou prou dans l'édition et fréquenté leurs pairs, non sans trahisons ni fâcheries, jusqu'à sa mort précoce pour Matthieu Galey et son retrait pour Camus. J'ai cessé de lire ce dernier en 2011, à peu près, je crois, quand Fayard qui l'éditait a jeté l'éponge, et déjà le cercle des écrivains qu'il fréquentait s'était considérablement réduit à cause de son engagement politique et de sa gasconisation, mais il avait gardé quelques amis fidèles. Il faisait avant tout profiter le lecteur de sa culture littéraire immensément variée, mais c'est peut-être en parlant de l'art qu'il le touche le plus. Ses descriptions de tableaux ou ses évocations de l'architecture ou de l'urbanisme des villes italiennes, par exemple, sont souvent magnifiques. Ces dernières années, il s'était mis à une littérature alimentaire de haute tenue en rédigeant des sortes de guides touristiques (Demeures de l'esprit...) sur les maisons d'artistes ou écrivains de France et d'Europe. Mais là n'est pas le plus important.
Ce que j'aime avant tout chez les journaliers, mais aussi chez les auteurs de mémoires, de souvenirs, de confessions, c'est l'homme "dans toute la vérité de la nature". J'entends bien que les créatures de fiction ne sont pas moins vraies, mais elles restent à distance alors qu' il se crée des rapports intimes entre l'auteur qui se raconte ou se confesse et son lecteur, même s'il lui ment parfois. Que le récit s'étende sur des années et des années et ses souvenirs eux-mêmes deviennent les nôtres et on retrouve avec amusement ses petites manies et ses obsessions. J'ai découvert le RC peintre de lui-même et narrateur de sa propre vie avec le Journal d'un voyage en France vers 1980 et j'ai été immédiatement séduit. Il y avait en lui un appétit de vivre et de voir qui lui faisait désirer le moindre château, la moindre église, tous les détours possibles de son itinéraire dans la France profonde lors d'un printemps pluvieux de la fin des années 70. Les journées n'étaient jamais assez longues, d'autant qu'il y ajoutait des errances nocturnes dans les parcs de Pézenas ou de Montauban, décrivant sans fard ses étreintes. Déjà il se plaignait du bruit dans les hôtels et du sans-gêne de la clientèle et on retrouvera ça tout au long des journaux comme une vieille plaisanterie qui fait toujours rire. Il pestait contre le débraillé langagier qu'il imputait à juste titre et sans fard à cette petit bourgeoisie qui lui semblait être devenue la classe universelle ("les mamans", "bon appétit"...), protestait contre l'enlaidissement des villes et des campagnes qui lui causait une véritable souffrance, mais connaissait des moments de grâce et d'exaltation quand une belle lumière vespérale nimbait le paysage. Il m'a accompagné pendant des années je l'ai vu vieillir, perdre les vifs appétits sexuels de sa jeunesse, se retirer peu à peu du monde, c'est-à-dire du milieu parisien, car il s'est mis à voyager de plus en plus pour faire bouilli la marmite. Ses copieux journaux annuels nous racontent tout de sa vie quotidienne : problèmes d'argent, de chauffage, d'informatique, de rapports avec les éditeurs, ses promenades avec ses chiens, ses petits malheurs physiques, mais par la vertu de l'humour (il a un grand talent, sincère ou pas, pour l'autodérision), les fulgurances du style quand il s'en prend aux idoles de notre modernité et de notre conformisme, le ton apaisé et bucolique des évocations de sa campagne, il nous emmène bien au-delà de son quotidien. Et si nous laissons passer parfois quelques années en nous disant : il se répète, bien vite nous lui revenons. Oui, Renaud Camus est un grand écrivain.
Mais je vous entends déjà : "Et l'affaire Renaud Camus, c'est de la bibine? Et le Grand Remplacement, vous vous en foutez?". Sur la première, mon dieu, plus de 20 ans déjà, les jeunes générations doivent nous regarder avec des yeux ronds, mais lisent-elles RC? sur la première donc, lisez donc un livre de l'auteur, Du sens (POL 2002) où il fait justice des accusations d'antisémitisme en prolongeant le dialogue platonicien de Cratyle et d'Hermogène. Sur le GR, que dire? Je ne crois pas moi-même à un complot organisé et je me demande même si l'auteur y croit, mais est-il illégitime de réfléchir sur la question brûlante des migrations de population, sur celle de l'intégration, qui sont des préoccupations majeures comme le montre un récent sondage ifop? alors qu'on constate un grand retour de la nation, doit-on faire l'impasse sur sa culture et surtout sur sa langue qui en sont l'essence? Peut-on condamner un écrivain qui n'a ni la violence ni le ton voyou de ceux qu'on lui prête comme ancêtres? Je vous laisse sur cette interrogation et vais me lancer dans la lecture de La Ligne claire, Journal 2019.