Pierre-Jean Remy :"Le sac du Palais d'été"
Je crois qu'on ne lit plus Pierre-Jean Remy, qui ne sortira peut-être jamais de son purgatoire. C'est dommage, car Le sac du Palais d'été est un roman fascinant à bien des égards. D'abord il se passe pendant la Révolution culturelle à Pékin où l'auteur fut en poste. La petite communauté étrangère, diplomates, traducteurs, journalistes,aventuriers, hommes d'affaires de passage, assiste au spectacle, à la fois fascinée et horrifiée. De longs cortèges de gardes rouges brandissant des gourdins et hurlant des slogans que soulignent les gongs parcourent les larges avenues, souvent ils poussent devant eux quelques vieillards coiffés d'un bonnet d'âne et couverts de crachats. Parfois ils les bâtonnent à mort. Mais il y a aussi la Chine éternelle, la Cité interdite, les tombeaux Ming et la Grande Muraille proche. C'est elle que certains sont venus chercher en une sorte de voyage initiatique qui doit les mener à la Sagesse ou seulement pour fuir un Occident devenu irrespirable. A ses personnages l'auteur mêle Segalen (dont il cite largement des extraits de Simon Leys) et Heim à la tête de la Croisière Citroën, eux aussi furent fascinés par l'empire du Milieu. Le roman est éclaté et polyphonique (mais que cela ne vous effraie pas...). Des séquences se succèdent, longues d'un paragraphe ou de 2 ou 3 pages, qui nous permettent de découvrir peu à peu chacun, d'autant que certaines évoquent tel ou tel épisode de leur passé qui éclaire leur présent. Dans les soirées se croisent diplomates ambitieux, vieux sinologues érudits, jeunes hommes en colère ou blasés, belles femmes un peu fatiguées qui vont de l'un à l'autre. Comme P-J Remy aime aussi le roman "romanesque", il s'en donne à coeur joie. On boit à grandes goulées du bourbon ou du champagne tiède, les jeunes héros échangent des formules définitives sur leur mal de vivre en faisant tourner la bouteille. Les femmes sont toujours grandes, minces et très belles et souffrent à cause de ces grands enfants ou de leur vieux maris. Ceux-ci forment un petit cercle d'érudits "ensinisés" comme d'autres sont "encongaïés". Ceux qui ne sont pas expulsés rêvent de partir, mais en définitive s'engluent, sachant qu'ils ne peuvent plus aller plus loin. Je ne sais pas comment fait le romancier, mais il réussit à nous faire passer cette atmoshère de roman mi-mondain mi-colonial et on y prend grand plaisir. Il s'agit du meilleur roman de P-J Remy à mon avis, mais il n'est pas interdit de lire aussi (si vous le trouvez) Mémoires secrets pour servir à l'histoire de ce siècle, roman d'espionnage très décalé, qui s'inspire de l'histoire de Philby et rend hommage à la littérature érotique du XVIIIème siècle.