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Causons derechef
21 mars 2021

Génération cinoche

Presqu'un an que nous sommes privés de cinéma et la sensation de manque est toujours aussi insupportable et entretient un véritable état dépressif. Il faut dire que ma génération a été biberonnée au cinoche, le vrai, en salle, et non sa pâle caricature sur écran de télévision ou d'ordinateur, voire - horribile dictu - de téléphone. C'est vous dire combien je porte dans mon coeur les tyrans en blouse blanche qui ont pris le pouvoir et tirent les fils de la marionnette. Mais revenons en arrière...

Qui veut se rendre compte de l'importance du cinéma en France dans les années 50 n'a qu'à regarder un plan de Paris de l'époque, il découvrira un nombre de salles faramineux. Elles n'étaient pas cantonnées comme maintenant à Saint-Germain et au Quartier latin qu'envahit d'ailleurs la fringue, et aux Boulevards; tous les arrondissements, y compris les plus populaires, avaient leurs salles de quartier dont le cinéphile discerne parfois encore avec émotion les façades transformées. Leurs noms chantent encore : le Beverley, l'Artistic, le Roxy, le Kursaal...Certains étaient permanents, d'autres ne diffusaient que des actualités, mais tous se remplissaient du vendredi au dimanche. Mais la province, me direz-vous? c'était pareil, je peux en témoigner. Dans les villages passait un cinéma forain et je me souviens avoir vu dans le mien Quand passent les cigognes ou la série des Sissi, assis sur les bancs du café le plus achalandé, dans la fumée des cigarettes. La petite ville proche avait 2 salles dont une liée au patronage catho.Dans les deux des ouvreuses en robe noire qui proposaient à l'entr'acte des caramels Dupont d'Isigny (au bon lait de Normandie) ou des mikos, et bien sûr un rideau publicitaire nous invitant à aller chez Conchon-Quinette ou aux Nouvelles galeries. C'est là que j'ai vu mon premier film, je devais avoir sept ans, une sorte de "viennoiserie" dont j'ai oublié le titre, et aussi un film qui m'avait vivement impressionné à cause d'une scène de meurtre, SOS Noronha. Puis ce fut le lycée où j'ai connu mon premier ciné-club organisé par un jeune prof communiste qui nous a projeté Lettre de Sibérie,  le Potemkine et  Le sel de la terre dans un grand préau. Comme nous pouvions sortir seuls le jeudi et le dimanche à partir de la 1ére, j'ai commencé mon éducation dans les salles du chef-lieu et notamment dans l'une d'elles, fréquentée par les bidasses de la caserne voisine, qui projetait d'excellents séries B (vu mon premier Dracula avec Christopher Lee). Je la complétais en allant à la bibliothèque municipale lire les "Cahiers du cinéma" (je me souviens que le nom de Straub y revenait souvent à l'époque) avec mon copain Patrick qui fit un jour le mur pour aller voir Pierrot le fou. Puis ce fut la fac à Poitiers qui avait à l'époque un des meilleurs ciné-clubs de France (3 films différents par semaine et un festival annuel consacré à la filmographie d'un pays), sans compter les salles de la ville. Je suis réellement devenu boulimique, et comme cela ne suffisait pas, je montais à Paris de temps en temps pour prendre une ventrée de films. Curieusement, je n'allais pas à la Cinémathèque mais m'installais dans un petit hôtel du Quartier latin,et de 2 heures à minuit sortais d'une salle pour aller dans l'autre (et à l'époque je me rappelais même le titre des films, des réalisateurs et des vedettes...). Le pli était pris : quand je me suis retrouvé plus tard dans des villes exotiques où abondaient les films de genre, j'allais voir à peu près n'importe quoi, kung fu, films d'horreur thaïs, polars italiens qui avaient viré au rose...J'ai découvert aussi les cinémas en plein air qui n'ont pratiquement jamais pris en métropole. Puis je suis revenu, plein d'usage et de raison, dans mon vieux pays, et j'ai repris mon rhytme fou. Enfin non, un peu plus raisonnable : l'âge était là; mais il se compte encore en nombre de films par semaine et non par mois. Et je ne suis pas un cas particulier. Tous les après-midis, dans les salles du Quartier latin, je croise des ombres, j'entends parfois un ronflement, certaines  vont aux toilettes plus souvent qu'à leur tour : ce sont les débris de ma glorieuse génération que les djeunes, avides de pop corn et de blockbusters, ne remplaceront jamais. D'ailleurs ils finissent par déserter les cinémas pour se coller chez eux devant un écran pour regarder les films Netflix, ou pire, des séries télé. La honte! Il ne nous serait jamais venu à l'idée de regarder Janique Aimée ou L'homme du Picardie. Alors, sacré nom de Zeus, rouvrez vite les cinémas ou je crois que je ferai un malheur!

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