2020, l'Année terrible
Quelles traces laisse dans mes blogs l'année la plus sinistre que j'ai vécue? Il me semble que j'y ai parlé un peu plus de cinéma. Est-ce parce que j'en ai été cruellement privé et que je le suis encore? Du covid, évidemment, mais par la bande : la maladie ni ne m'intéresse ni ne m'effraie. De l'Islam et du racisme, bien peu, si on considère l'importance qu'ils ont dans le débat public. Il m'apparaît que le présent ne m'intéresse guère et que le passé revient de plus en plus : nostalgie des pays visités, d'époques vécues pleinement, de films de ma jeunesse. Le texte "De senectute..." donne la tonalité générale : la vieillesse est là avec la dégradation physique, la fin du désir, le naufrage de la mémoire, les gestes perdus, les échecs remâchés. Que crèvent ceux qui en font l'éloge!
Après des mois et des mois, qui paraissent des années, le covid fait encore la une des journaux et constitue la provende principale des réseaux sociaux, n'en rajoutons pas et ne ressassons pas les erreurs d'un gouvernement dépassé qui par bêtise administrative, sadisme et ignorance a fait pleuvoir sur nous une série d'interdictions tâtillonnes et inefficaces qui a culminé dans celle de marcher au grand air. Surfant sur cette impéritie, un gouvernement secret formé de médecins comitards et politicards s'est emparé du pays et lui impose un hygiénisme forcené. On ne rigole plus, comme avec Molière et Jules Romains, les morticoles ont champ libre pour exercer un sadisme latent.
L'année a connu quelques faits divers emblématiques dont le plus affreux fut la décapitation de Samuel Paty qui témoigne de la montée en puissance du fanatisme islamique (comme le pathétique épisode de la "Marseillaise" de Poitiers où une ministre de la République s'est retrouvée bien seule face à des djeunes embrigadés. Hommage à son courage). Il met aussi en question notre politique aberrante d'accueil des réfugiés ("Du Tchétchène te méfieras et de l'Afghan pareillement"), le rôle des réseaux sociaux diffuseurs de haine. Mais il révèle aussi une brutalité certaine dans la défense de la liberté d'expression, par exemple l'usage de l'obscénité auprès d'un public non averti. Et ne parlons pas de la récupération sans vergogne qu'en font les conseils régionaux qui ont imaginé de distribuer dans les écoles des "livres de caricatures" qui seraient comme un nouveau catéchisme. Plus amusante est l'affaire des "crop tops", ces petits hauts affriolants qui ornent les poitrines juvéniles. La persécution d'une élève de 3ème par une administration rétrograde a pris une ampleur nationale. La donzelle a contré avec un argument-massue : "c'est mon choix et ma liberté", recueillant un fort soutien (sous le crop top, le soutien...). Et pourtant : et si ce choix se fait au grand dam de ceux qui vous entourent? et les débordements des garçons excités? et les profs allumés (nous sommes tous des Humbert Humbert)? et les bigots chatouillés? doit-on toujours "venir comme on est" comme le proclame une chaîne de bouffoirs? faut-il rétablir l'uniforme à l'école? ne seront-elles pas encore plus excitantes en corsage blanc et jupe aux genoux? Ah, qu'un petit fait divers pose de grandes questions...
Beaucoup de cinéma, donc. Si à la sortie deu confinement n'ous n'avons guère été gâtés par les nouveaux films qui avaient été mis au frais, Paris nous offrait quand-même ses films classiques en salles d'art et d'essai et, dans quelques salles de quartiers connues des happy few des objets plus rares comme les beaux films de Cheyenne-Marie Carron ou un Gaspard Noé qu'on avait raté. Hélas, je commence à me demander si moi, qui ai consacré une partie de ma vie au cinoche, n'en verrai pas la fin, tué qu'il sera par Netflix, Disney, les séries et les djeunes qui préfèrent le popcorn dans leur canapé. C'est aussi l'année où est mort Piccoli, grand acteur à qui, pourtant, je ne voue pas un culte comme à Cybulski, Ronet ou De Niro. Mais dans quels beaux films il a tourné! Curieusement, les paysans, de moins en moins nombreux, intéressent de plus en plus les cinéastes, souvent d'origine rurale, qui traitent avec réalisme leurs problèmes. On est loin de La soupe aux choux et plus près de Farrebique.
Je n'ai jamais tant lu que cette année, pourtant je parle peu de littérature, peut-être parce que j'ai fait moins de découvertes que de relectures. Je rends un hommage à deux écrivains que j'avoue n'avoir pas lus, est-ce assez désinvolte?...mais avec les "hussards" on peut tout se permettre. Mon "livre de l'année" a été Le coeur glacé d'Almuneda Grandes, peut-être le "grand roman" de la guerre d'Espagne. J'ai découvert assez tard la littérature espagnole et elle m'a donné beaucoup de plaisir.
Il y a aussi l'évocation d'un voyage en Thaïlande fait pile avant que le virus ne se répande. Ce sera probablement le dernier (dans tous les sens du terme) et ma nostalgie des campagnes de là-bas traversées à vélo s'en accroît pendant que remontent mes souvenirs de mes deux ans dans le Delta. Et sur ce, meurt Giscard, et avec lui toutes les prodigieuses années 70, les plus intensément vécues. Voilà qui sent l'approche de la mort...