Entendez vous dans nos campagnes?...Les paysans au cinéma
On a l'impression que les films sur les paysans se multiplient en ce moment. En 3 ans il en est sorti trois qui ont eu un certain succès : Petit paysan d' Hubert Charuel, Au nom de la terre d'Edouard Bergeon et cette semaine Cyrille, agriculteur, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettes de Rodolphe Marconi. Cela pourrait paraître peu, mais c'est beaucoup dans le cinéma français qui ne leur a jamais donné beaucoup de place. Certes, il y a eu un film mythique, le Farrebique de Georges Rouquier (1946), docu-fiction lyrique qui chante les travaux et les jours de paysans aveyronnais. En 1983 il tournera Biquefarre qui nous montre combien les choses ont changé depuis la révolution agricole des années 60 : on est passé des Georgiques à l'entreprise agricole où la terre, en dessous d'une certaine superficie, ne nourrit même plus son homme. Plus près de nous Profils paysans, le documentaire en 3 volets de Raymond Depardon sur les agriculteurs de petite et moyenne montagne, de la Haute-Saône à la Lozère. Là semble perdurer un mode de vie qui n'a pas évolué depuis un demi-siècle : l'isolement dû au mode d'habitat, l'absence de "confort moderne" dans les maisons, les modes de culture et d'élevage qui semblent presque primitifs (vaches et humains pataugent littéralement dans le fumier. Cette agriculture à la traîne semble définitivement condamnée, comme en témoigne la quasi impossibilité de transmettre le patrimoine. Il est vrai que les zones ingrates choisies par Depardon sont marginales et qu'à la même époque le documentaire de Rémi Mauger Paul dans sa vie donnait une vision presque idyllique de la vie d'un vieux paysan du Cotentin et de ses deux soeurs restées célibataires.
On peut constater que le paysan apparaît d'abord dans des films documentaires, comme une sorte d'objet d'étude pour anthropologue voulant conserver des traces d'une civilisation en voie de disparition (c'est ce que fait le Québécois Pierre Perrault dans Pour la suite du monde avec sa reconstitution d'une chasse traditionnelle et l'enregistrement d'un patois qui va disparaître). Constatons aussi que tous les réalisateurs évoqués sont de famille paysanne, à l'exception, me semble-t-il, de Marconi. Il est facile d'en conclure que les paysans sont en marge de la société dans laquelle ils vivent, et ce d'autant plus que leur nombre diminue régulièrement. Enfin, si Cyrille, agriculteur...est lui aussi un documentaire avec filmage sur un temps relativement long par un cinéaste établi sur place, l'intérêt des deux autres films est que ce sont des oeuvres de fiction où le paysan n'est plus un objet d'étude mais un être agissant incarné par un comédien, ce qui lui donne paradoxalement plus de réalité et permet au spectateur de s'identifier et de mieux connaître la société où il vit grâce à la fiction qui ramène au réel. Nous émeut la cruauté du sort de ces paysans écrasés par les réglementations et les dettes. Dans Petit paysan les autorité sanitaires euthanasient le troupeau de l'éleveur dont une vache était malade, et la séquence du massacre (accompli pourtant avec des procédés humains) est bouleversante, car le paysan subit un véritable arrachement tant il est attaché sentimentalement à ses bêtes, comme Cyrille, dans le documentaire, qui les réveille chaque matin d'une caresse. Le héros de Au nom de la terre se heurte à un autre monstre froid : la Banque (on sait bien laquelle) qui le poussera à s'endetter et le conduira au suicide (les statistiques disent combien il est fréquent dans cette CSP).Il est question aussi de la solitude du paysan célibataire, de son épuisement au travail (Cyrille ne découvre la mer qu'à 30 ans, c'est la première fois qu'il part en vacances), des problèmes de transmission du patrimoine et des conflits de génération qu'elle entraîne...Non, décidément, la vie de nos paysans n'est pas un lit de roses. Quand ils auront disparu (et comment pourrait-il en être autrement?), le cinéma aura quand-même gardé quelques traces de leurs souffrances.