Villages du Delta et d'ailleurs...
Je suis à la veille d'un énième voyage en Asie du sud-est, voyage dont une partie se fera à vélo comme l'an dernier au Cambodge. En fait, depuis quelques années, mon itinéraire dans ces contrées inclut toujours une randonnée à vélo ou à pied. Une des raisons évidentes est d'essayer de rester en forme, de ne pas trop s'avachir, mais je suis aussi persuadé que c'est la meilleure façon de connaître le pays et de l'apprécier pleinement. Vous allez crier au cliché et je ne saurais vous donner tout-à-fait tort, pourtant, tout artificiels que soient les contacts avec la population des villages que nous traversons qui passent par l'entremise d'un guide local, je crois qu'on entrevoit un peu la vie des paysans, leur travail, leur intérieur quand parfois nous y dormons (même si c'est en général dans la maison d'un notable). L'atmosphère n'y a pas la brutalité de celle des villes, la vue n'est pas bornée par des immeubles qui se ressemblent tous mais par des cocotiers ou des banyans. Si la vie peut être rude pour les paysans, notamment dans les montagnes, la pauvreté n'y est jamais sordide. Ma vision est sûrement trop idyllique et mon impression de mieux connaître le pays trompeuse, mais il me semble qu'on reste moins à la surface des choses que lorsqu'on est noyé dans la foule grouillante de métropoles qui finissent par toutes se ressembler : grands immeubles, larges avenues, circulation bruyante et polluante. Peu de villes du Sud-est asiatique, en somme, ont un grand intérêt esthétique ou du charme, si l'on excepte les sites archéologiques, quelques temples ou pagodes et de beaux bâtiments coloniaux : Manille intra muros, le vieux Rangoon décati et rongé par l'humidité, de belles villas coloniales à Saïgon...La beauté de ces pays vient avant tout de la nature, pas seulement du pittoresque de la jungle ou des montagnes, mais aussi des paisibles villages au milieu des rizières. Je ne vais plus, comme autrefois, de ville en ville, en regardant le paysage à travers la vitre du car, ou du train, j'essaie d'y pénétrer.
En voyageant comme cela, je retrouve les premières émotions que m'a données l'Asie. J'ai vécu 2 ans dans le Delta (pour moi c'est celui du Mékong et pas un autre) au début des années 70. De ces deux années je garde un souvenir ébloui fait du paysage, des gens, d'une plongée dans l'exotisme, et même du piment d'une guerre qui n'était pas terminée. La ville devait avoir 200 000 habitants à l'époque, il y avait encore un consulat, un club et un centre culturel américains, quelques agents de la CIA et des GIs pour garder le tout, mais j'étais quasiment le seul Français. J'exerçais tant bien que mal les fonctions de lecteur à l'université, fréquentais mes collègues vietnamiens francophones, mais encore plus mes étudiants guère plus âgés que moi et qui se montrèrent très accueillants, curieux de la France et désireux de parler avec un Français, mais aussi de lui faire découvrir leur pays. Cela passait évidemment par la gastronomie et d'autres plaisirs plus secrets dans les hôtels chinois, mais surtout, comme beaucoup étaient d'origine paysanne dans cette riche région agricole, nous allions souvent dans les villages où ils m'assuraient qu'était le vrai Vietnam. Il suffisait de traverser la rivière pour trouver un immense village qui faisait face à la ville, ou parfois nous allions plus loin par des pistes, moi mort de peur sur le porte-bagage d'une petite Honda 50 que pilotait un étudiant. Mes amis m'apprenaient le nom des arbres et des fruits que nous dégustions dans les vergers, les gosses curieux et piaillant, une fois leur curiosité à ma vue satisfaite, nous laissaient nous promener à l'ombre des banyans ou des fromagers, les paysans rentraient des rizières, les buffles se couchaient près de feux qui éloignaient les moustiques. Et toujours nous étions invités dans une maison pour partager le repas de la famille : crevettes de rizières, anguilles, poisson-chat, porc caramel... et parfois des mets plus rares comme le serpent, le tout arrosé de bière, de vin de riz ou de lait de coco. Nous rentrions à la nuit en ville et allions prendre un café aux terrasses du quai qui concentrait l'essentiel de la vie nocturne. J'avais la vanité de penser que je connaissais mieux les Vietnamiens que mes amis vivant à Saïgon et exerçant pour la plupart dans des établissements français. Ce devait être un peu vrai puisque certains venaient me rendre visite pensant trouver à Cân Tho plus d'authenticité que dans la capitale. En tout cas l'expérience m'a assez marqué pour que je retourne souvent dans ces contrées où paysages et gens me sont familiers, mais où des découvertes sont encor possibles.