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Causons derechef
11 janvier 2020

Albert et Gabriel

On ne pourra pas dire que la littérature n'a pas d'importance en France : depuis le début de l'année on parle presque autant de Matzneff et de Camus que de la clause du grand-père ou du compte pénibilité. Le premier, écrivain confidentiel s'il en fut, se voit soumis au jugement sans indulgence d'une foule de gens qui ne l'ont pas lu mais étendent à son style la réprobation qu'ils ont pour ses pratique sexuelles : on ne fait pas de bonne littérature avec de mauvaises moeurs. Le second, au contraire, est présenté comme une haute autorité morale, le guide qui nous manque en ces temps troublés, un écrivain injustement oublié au destin tragique puisque, c'est à l'occasion du soixantième anniversaire de sa mort qu'on le sort des oubliettes (ne pas oublier dans 2 ans Nimier et son Aston-Martin : la route fut fatale aux écrivains dans les années 60...). En fait, on peut se demander si son purgatoire littéraire, malgré son prix Nobel, n'avait pas commencé de son vivant. Le Camus philosophe fut opposé à Sartre qui, juché sur les épaules de Husserl et de Heidegger, le regardait de haut. L'homme révolté ou Le mythe de Sisyphe ne faisaient pas le poids à côté de L'être et le néant, prétendaient les philosophes. Le fait qu'il ait été journaliste a dû aussi discréditer son oeuvre. On a pu le considérer comme un penseur superficiel auquel on doit seulement la notion d'absurde et une morale un peu ringarde : rappelons nous cette formule féroce : Camus est un Saint Exupéry qui n'a même pas un avion. La Gauche anticoloniale lui en voulut aussi beaucoup d'avoir déclaré à propos de la guerre d'Algérie qu'entre sa mère et la justice il choisirait sa mère. Mais, laissons la philosophie où je ne suis guère compétent,pour dire le moins, et voyons l'écrivain. Je ferais volontiers un sort à son théâtre, ni pire ni meilleur que celui de Sartre. Les pièces à thèse des années 50 furent assez calamiteuses et nous paraissent aussi ringardes qu'une comédie de Barillet et Grédy. Je mettrais dans le même panier l'ennuyeux Noces : ma sensibilité aux paysages a été éveillée par Chateaubriand, alors la lumière et la végétation méditerranéennes...Restent les romans.Mettons La peste, ennuyeusement démonstratif, à part, mais l'originalité de La chute avec sa confession du juge-pénitent et surtout L'étranger avec un des incipits les plus célèbres de la littérature française :"Aujourd'hui maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas", son passé composé,et, bien sûr, le personnage de Meursault qui soutient la comparaison avec le Roquentin de La nausée "un garçon sans importance collective, tout juste un individu". Peut-être pas grand philosophe, mais écrivain, oui. Quel dommage que le maire de mon arrondissement soit venu gâcher mon jugement. Il a cru bon de mettre en exergue de sa carte de voeux cette phrase de Camus : "Je ne connais qu'un seul devoir et c'est celui d'aimer". Aïe,aïe,aïe, on se croirait dans Le petit prince ou Citadelle. Essayons donc d'oublier un peu le curé laïque et sa morale convenue, relisons plutôt le romancier.

Commentaires
L
Tout à fait d'accord au sujet de Matzneff dont je ne rien lu d'autre, disons, commencé que le dernier roman dont j'ai d'ailleurs déjà oublié le titre. Moins d'accord au sujet de Camus avec lequel vous êtes un peu injuste. Je lui reproche pourtant d'avoir abandonné Combat en rase campagne et à Combat d'avoir abandonné tout la veille de publier deux longs articles commandés et sur lesquels j'avais beaucoup travaillé. Rassurez-vous, je les ai réutilisés par ailleurs. Mais j'étais tout de même fier de moi et patatras... Mais d'accord pour "l'étranger" et la "chute".
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