"Les particules" de Blaise Harrison
Un film sur les adolescents, sélectionné par la Quinzaine des réalisateurs souvent bien indulgente, d'un cinéaste dont c'était le premier film de fiction, j'ai dû me pousser un peu pour aller le voir. Je ne l'ai pas regretté. Le héros est en terminale S dans un lycée "international" (puisque nous sommes tout près de la Suisse dans le pays de Gex), mais qui semble scolariser avant tout la jeunesse locale. D'emblée on pense au sublime Passe ton bac d'abord de Pialat, à croire que rien n'a changé en 40 ans (putain, quarante ans!). Mêmes cheveux longs un peu gras, même acné, même tenue décontractée faite d'une superposition de T shirts et de parkas, mêmes déconnades entre potes, même ennui apparent en classe, mêmes soirées un peu glauques avec un peu d'alcool et de drogue...Tout, comme chez Pialat, paraît vrai: dialogues sommaires en avalant les mots, gestes (ah non, la façon de saluer a changé), rapports entre les garçons et de ceux-ci avec les filles. Toutefois ni le cadre ni le point de vue ne sont les mêmes : ce ne sont plus des enfants de prolos du Nord mais ceux de petits bourgeois qui vivent dans les coquets lotissements d'une région prospère, et là où le premier faisait un film choral, Harrison privilégie un personnage. Mais c'est surtout avec les nombreux films contemporains sur les jeunes que celui-ci tranche. On est à cent lieues des" quartiers" qui leur servent de cadre et cela nous évite les thèmes habituels : racisme, discrimination, contrôles au faciès, chômage, trafics, oppression des filles. Allez comprendre pourquoi on parle d'invisibilité des jeunes "de la diversité" quand on ne voit qu'eux à l'écran...Pas de bandes, mais un petit groupe de potes, des filles libres, un monde de petits blancs tranquilles. Toutefois ce n'est pas la seule originalité du film auquel le réalisateur réussit à instiller une dose de fantastique qui ne jure pas avec l'arrière-plan réaliste. Le titre, un peu mystérieux, fait allusion à l'accélérateur de particules du CERN au-dessus duquel vivent les personnages et qu'ils découvriront lors d'une visite scolaire. Cette exploration de l'origine de la matière et cette tentative de reconstitution du big bang, avec son ballet de particules que montrent certaines images, donnent le vertige et paraissent bien au-delà de notre compréhension. Dans une séquence parallèle les quatre amis ingèrent des champignons hallucinogènes et le réalisateur projette leurs visions sur l'écran avec les mêmes tourbillonnements et jaillissements. Autre élément fantastique, la disparition sans explication d'un des garçons alors qu'ils passaient une nuit sous la tente dans la montagne. Comme dans Pique-nique à Hanging rock de l'australien Peter Weir, où la situation est la même, le mystère demeure, mais c'est cette disparition qui fait sortir de lui-même le héros. Pas de film sur les adolescents sans un aspect roman d'éducation. Le héros, qui au début du film s'ennuie un peu en classe et se laisse porter par la routine scolaire, qui avec ses copains est toujours un peu en retrait voire mutique et patauge avec les filles, secoué par cette mort supposée, finit par exprimer les sentiments qu'il refoule dans un plan final qu'on pourra au choix trouver cucul ou très beau.