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Causons derechef
19 mai 2019

Romain Gary dans la Pléiade, on s'interroge...

Et voici que Romain Gary est dans la "Pléiade"! J'ai l'impression que des digues  se sont effondrées et qu'une nuée d'auteurs va se ruer chez Gallimard en criant "Moi aussi, moi aussi!". Car enfin, Romain Gary....Vous allez me dire : affaire de goût. Certes, je reconnais  mon peu d'attirance pour cet écrivain. J'ai lu, étant adolescent, Les racines du ciel et il ne m'en est rien resté (et d'ailleurs, est-ce que je ne confonds pas avec Le lion de Kessel : l'Afrique de l'est, des histoires d'animaux...). Je ne pense pas être allé au-delà de 100 pages dans La vie devant soi, tant ce mélange de misérabilisme et de bons sentiments, cette invention verbale à deux sous, me répugnaient. Mais, si mes souvenirs sont bons, je n'étais pas le seul. Il me semble que dans les années 60 ou 70 Gary était considéré comme un romancier traditionnel de second ordre qui faisait honnêtement son travail, une sorte de Troyat ou de Philippe Hériat (je n'irai pas jusqu'à dire Druon, car ce dernier laissait ce soin à ses nègres) bien loin des recherches du roman moderne et sans génie particulier. Ajoutons que sa personne même pouvait agacer ou déplaire : les gens de gauche, dont il était proche, ne pardonnaient pas à ce héros de la France libre sa fidélité à De Gaulle, d'autres lui trouvaient un côté m'as-tu-vu, voire rastaquouère, avec ses complets blancs, son cigare et son actrice de femme. Il connut même une sorte de purgatoire d'écrivain de son vivant dont il essaya de sortir par la supercherie que l'on sait et qui réussit d'ailleurs. Je le croyais bien oublié et ayant rejoint, avec ses deux prix Goncourt, la cohorte des romanciers perdus :  Jean-Antoine Nau, Ernest Pérochon, Emile Moselly (je me souviens de dictées...), Guy Mazeline. Eh bien non, Gallimard l'exhume et le couronne grantécrivain dans la plus prestigieuse collection de l'édition française. Peut-être l'est-il, ou est-ce que la Pléiade usurpe sa réputation ?

Je suis donc allé consulter le catalogue de la collection, presque nonagénaire, et j'ai conclu à sa haute tenue, bien que quelques signes inquiétants soient apparus récemment. Comme on sait, même si elle publie aussi des philosophes et des historiens, elle est consacrée essentiellement à la littérature dans tous ses genres avec prédominance du roman. Pendant longtemps elle a pratiqué une très sage politique qui consistait à s'en tenir aux écrivains consacrés par le temps. Ainsi ne publia-t-elle au début que des écrivains dont les plus récents appartenaient au XIXème siècle et étaient étudiés dans les écoles. Il fallut attendre 1947 pour qu'y paraisse un auteur du XXème, de surcroît vivant, Malraux (on peut d'ailleurs se demander si ce ne fut pas une décision politique : Gallimard avait des choses à se faire pardonner, alors un coup de pouce à un écrivain ex-maquisard et RPF...). Ensuite, en 1951, il y eut Saint-Exupéry (tiens, un deuxième aviateur, trois avec Gary, qui est chef d'escadrille?). Ne pas croire que la Pléiade ne publiait que des auteurs consacrés par le temps, voire par le public (Saint-Ex, Prévert...) elle a publié aussi des auteurs rares, permettant ainsi à quelques amateurs et à des érudits d'avoir à leur disposition des textes introuvables (je pense par exemple à Paul-Louis Courier, pamphlétaire oublié, à Montluc chef de guerre catholique pendant les guerres de religion, ou, à l'inverse, à des poètes contemporains comme Jacottet, sans compter toutes les anthologies qui ramènent au jour des écrivains du moyen âge ou de la Renaissance). Elle ne néglige pas non plus les grands écrivains étrangers, allant jusqu'à proposer des romans chinois très anciens. Mais depuis quelques années, n'y aurait-il pas un relâchement ? Gary vient après d'Ormesson. S'agit-il d'une perte du sens des valeurs? Gallimard, en bon auvergnat, compte-t-il en tirer de gros bénéfices? La littérature française, pour ne prendre qu'elle, est-elle en pleine décadence?Le présentisme interdit-il qu'on aille chercher parmi nos classiques? Et si on sacrifie aux valeurs du présent, verra-t-on bientôt dans la Pléiade, au nom de la parité, Christine Angot ou Annie Ernaux? Comme dit un de mes amis, cela laisse bien des choses à penser et je les soumets à vos méditations.

Commentaires
L
PS. L'expression "voilà qui laisse bien des chose à penser" est empruntée à Alexandre Vialatte dans plusieurs de ses chroniques publiées dans le journal La Montagne.
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L
Je trouve que Cotonet bougonne. Je ne partage pas au sujet des racines du ciel mais suis d'accord au sujet du dégoulinant la vie devant soi. Je crois comme vous que Gary est un auteur de bon aloi mais sans plus. Mais la pléiade a bien accueilli Jean d'O.! Mais nul n'est obligé de garnir la bourse de l'auvergnat. Sauf pour les Jaccottet, par exemple et bien d'autres..
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