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Causons derechef
11 avril 2019

La parade des mâles et autres usages des voyageurs

Un de mes amis Facebook, commentant mon post précédent sur le Cambodge, évoquait son expérience en tant que responsable de groupes de voyageurs. Il me semble, comme à lui, qu'on retrouve dans ceux-ci un certain nombre d'attitudes et de types que je vais essayer de relever en me basant sur ma courte expérience des voyages de type randonnées essentiellement.

  La parade du mâle : Les premiers jours (cela ne va guère au-delà de deux ou trois) les hommes se regroupent en une sorte de pack de rugby ou de soirée-foot avec ses potes, en proférant jeux de mots à deux balles, histoires comiques à la Bigard dans une atmosphère de cour de récréation. On est d'abord horrifié et on se demande au milieu de quelle bande d'abrutis on est tombé. Puis peu à peu ils se calment et on comprend : ces grands timides ont mis leur carapace (peur des femmes ?) et s'en déferont peu à peu, laissant apparaître leur vraie personnalité, souvent aimable et cultivée. Je me souviens d'un jour où, alors que nous évoquions des scandales célèbres à la télé d'antan, je rappelai Bukowski caressant les genoux de Catherine Paysan à l'émission de Pivot, en parlant prudemment d'un "écrivain américain" sans citer son nom. Or celui-ci jaillit de la bouche de qui je considérais comme le plus stupide du groupe et, de surcroît il appréciait cet auteur. A partir de là nous devînmes presque amis. Inutile de préciser que les femmes sont beaucoup plus discrètes et leur abord plus facile en début de voyage.

  Le guide : qui peut être aussi une guide, mais je n'en ai eu que deux dans mes pérégrinations, toutes deux en Thaïlande d'ailleurs, à croire que le royaume est particulièrement progressiste. Le premier problème avec eux est la langue qui va du "petit nègre" ou peu s'en faut, à un français standard et sans accent (je pense en particulier à un guide laotien). Au début, pour être sûrs d'entendre ses explications, tous l'entourent étroitement, mais peu à peu la classe se dissipe et seul demeure un petit groupe de fidèles et de gens polis, les autres s'égailllent pour faire des photos, s'interrogent sur le programme de la journée qu'ils n'ont pas écouté ou pensent qu'ils n'ont pas besoin qu'on leur résume le Ramayana pour contempler fresques ou sculptures. Ces guides, jeunes gens éduqués, sont heureux de pouvoir déverser leurs rancoeurs politiques dans des oreilles complaisantes. Tous critiquent la corruption ou la brutalité de leur gouvernement, de façon allusive dans certains pays, très franchement dans le Sud-est asiatique. Les voyageurs se sentent un peu comme des néo-colons face à lui : ils hésitent entre le "tu" et le "vous", se demandent s'il faut l'inviter à prendre ses repas à leur table ou le laisser avec le chauffeur. Les conflits avec lui sont très rares. Après tout, il connaît bien les multiples aspects de son pays, sait les faire  partager et il est rare que ses capacités d'organisation soient mises en défaut.

  Les pourboires : J'aborde là un des points les plus délicats du voyage...Il est d'usage d'ajouter ceux-ci à la rémunération de l'agence de voyages pour le guide, le chauffeur, éventuellement des porteurs, voire un "mécanicien" chargé des vélos lors de mon dernier voyage. Leurs montants, après qu'on a solennellement déclaré : "Chacun donne ce qu'il veut", font l'objet de vives discussions où s'affrontent les riches, les moins riches qui culpabilisent de se faire servir par des racisés et les presque pauvres pour qui le voyage a impliqué des sacrifices. Le voyagiste conseille en général une somme de x$/jour, mais sous forme d'une fourchette qui fait varier le x du simple au double...De plus il établit une hiérarchie qu'on peut contester et qui descend du guide au chauffeur puis aux porteurs (quand on a vu ceux-ci courir la montagne, pieds nus, avec 10 kilos de charge, on n'est pas trop d'accord). En définitive on finit par trouver un compromis entre les 2 chiffres proposés, on rogne un peu de-ci de-là, et on passe la monnaie à la personne dévouée qui s'est proposée pour la ramasser. Ne reste plus qu'à trouver des enveloppes (personne n'en a) et l'affaire est dans le sac.

  Les repas libres : Là encore il est question d'argent. Au cours de la randonnée les repas sont compris et on n'a pas à s'en soucier, mais en général celle-ci se termine sur une île paradisiaque où on se repose mais où on doit choisir son restaurant et payer son repas. Nous sommes en fin de séjour, chacun a acheté ses souvenirs, il lui reste peu de dollars (monnaie d'usage dans beaucoup de pays d'Asie) et de devises du pays. Ces repas vont tout chambouler : il va falloir calculer approximativement leur coût (l'un, repas d'adieu, sera plus cher, et il y a le pot à l'aéroport...), changer ni trop, ni trop peu, et surtout se débarrasser des ouguiyas, kips ou kyats que je qualifierais volontiers de monnaie de singe si je n'avais pas peur des associations antiracistes Ce genre de montage financier vous gâcherait presque la fin du voyage.

  La nostalgie du steak-frites : Quoiqu'on dise, le voyageur français est un des plus ouverts aux gastronomie exotiques et choisit plus souvent que le resto climatisé la petite gargote où il pense (souvent à juste titre) trouver une cuisine plus authentique à défaut d'être toujours saine. Peut-être cela lui rappelle-t-il le p'tit bistro connu de quelques privilégiés où le coq au vin est sublime...Et pourtant, après une ou deux semaines de voyage il y a immanquablement ce cri du coeur : "Ah, si on pouvait avoir une entrecôte !", et puis ça passe et le lendemain on se régale de son amok de poisson. Je me rappelle un soir, quand j'étais coopérant au Viet Nam, nous avions évoqué avec des larmes dans la voix Lucques, les spaghetti alle vongole et les olives italiennes, mais aucun de nous n'avait envie de quitter Saïgon.

  Chambre partagée : Les voyagistes mettent leurs clients dans des chambres doubles à l'hôtel. S'il y a des célibataires, à moins qu'ils ne paient un supplément, ils seront appariés à un(e) congénère en fonction de la date d'inscription ou de l'âge. Je paie toujours ce supplément par goût de l'indépendance et pour ne pas imposer mes manies ou infirmités à d'autres. Et puis je me souviens de ce couple improbable lors de mon premier voyage en groupe il y a fort longtemps. On avait mis dans la même chambre deux septuagénaires : un curé alsacien (j'insiste) qui ronflait et un ancien prof français en Egypte qui n'y était pas allé pour cueillir des dattes. C'est peu dire qu'ils ne se sont pas entendus...

  Médecins : Dans le groupe tout le monde finit par révéler ses goûts et ses opinions, mais, dans un cas, tait sa profession. Les médecins, en effet, redoutent à juste titre d'être assaillis de demandes de soin au moindre bobo. Il faut un cas urgent ou une insistance particulièrement lourde de leurs covoyageurs pour qu'ils se mettent à table. Les infirmières (et ces femmes dynamiques et entreprenantes sont nombreuses à partir seules ou avec une copine dans les voyages sportifs) sont moins dissimulatrices.

  La leçon de cuisine : Est-ce une conséquence de la multiplication des émissions culinaires à la télé, mais il n'y a plus une nuit chez l'habitant qui ne nous offre cette expérience, il faut bien le dire très artificielle. Elle consiste à se presser autour de l'indigène au risque de le gêner, à peler quelques fruits et à couper des légumes en petits morceaux et à écouter les explications du guide qu'on oubliera bien vite. La tablée de randonneurs se voit ensuite offrir le plat qu'elle croit avoir confectionné et prendra bien soin d'en donner les reliefs à la famille-hôte. 

  Quelques types de voyageurs : D'abord l'emmerdeur ou l'emmerdeuse patentée qui colle au guide et lui pose sans cesse des questions oiseuses et souvent embarrassantes pour lui parce qu'il ignore la réponse. Cette personne voudrait qu'on lui donne toutes les statistiques socio-économiques du pays, connaître les différentes branches du bouddhisme et le nom français de tous les fruits et légumes. Elle poursuit la conversation dans le car alors que le guide voudrait se reposer et fait pression sur lui pour obtenir des extras qui ennuieront ses compagnons. Plus sympathique le célibataire timide (entre 30 et 50 ans) qui shoote à tout va (symbolique de l'objectif photographique...) et est un réellement bon compagnon, toujours content et de commerce agréable quand on arrive à le faire parler. Mes préférées : les secrétaires (ou profession équivalente) qui économisent toute l'année pour s'offrir un ou deux beaux voyages, filles curieuses, sportives, un rien (ou beaucoup) anticonformistes qui peuvent être le moteur du groupe. Et, bien sûr, le voyageur à la fois discret et disert, premier sur les sentiers et à table, cultivé sans être pédant, trouvant le ton juste avec l'indigène...Vous m'avez reconnu.

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