Mes parpaillots
Est morte il y a quelques jours Janine Garrisson, historienne du protestantisme, dont le livre le plus connu, L'homme protestant (Hachette.1980) m'avait vivement intéressé. Il faut dire que les protestants me fascinent depuis l'enfance et que je suis passé à leur égard d'une répulsion un peu jouée à une sorte d'admiration.
Il se trouve que je suis originaire d'un département dont le nord-ouest était chouan et dont le sud-est abritait une communauté protestante assez importante pour qu'elle ait connu quelques dragonnades sous Louis XIV. Je suis né entre les deux, avouez qu'il y avait là de quoi être écartelé et à tout jamais instable...En tout cas, sur mon terrain neutre, le protestant était aussi rare que le juif ou, à l'époque, le musulman. Je n'ai vu mon premier temple qu'une fois devenu pensionnaire au lycée de la préfecture et que ma mère me l'eut montré lors d'une rare sortie du jeudi après-midi. On ne pouvait y entrer alors que nos églises catholiques étaient toujours ouvertes, ce qui soulignait son caractère "à part". Parfois on voyait aussi dans la plaine un bouquet d'arbres; c'était, me disait-on, des cimetières familiaux protestants datant de l'époque ou celui du village leur était interdit et certaines familles y ensevelissaient encore leurs morts par tradition. Comme on venait au lycée d'un peu tout le département j'y ai rencontré mes premiers calvinistes que je regardais un peu comme des bêtes curieuses. Dans un département partagé entre un nord "vendéen", catholique et de droite et un sud protestant, laïque et de gauche, il fallait prendre parti. Comme j'étais de famille catholique (mais assez tièdement), que la geste vendéenne me faisait frissonner et qu'enfin je découvrais Léon Bloy, j'affectai une détestation du protestantisme que je ne connaissais, en fait, qu'à travers la littérature. Ce catholique furieux autant qu'un religionnaire critique comme Gide m'en donnaient une image assez caricaturale (pour ce dernier je pense surtout à La symphonie pastorale où le pasteur est un merveilleux exemple du pharisaïsme qu'on prête souvent à ses ouailles). Ajoutons les romans anglais du 19ème siècle, des charges comme Elmer Gantry de Sinclair Lewis, et on a l'image de gens austères, avides, hypocrites, orgueilleux, tourmentés par le sexe. Mes séjours linguistiques en Angleterre me firent découvrir le nombre et la variété infinis des "chapelles" qui me semblaient autant de sectes face à l'unité et à la puissance de l'Eglise romaine. Pour brocher sur le tout il y eut la lecture du fameux L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme : le sentiment d'élection des protestants et leur impératif du travail allaient contre la morale libertaire et paresseuse des années 70.
Et puis mon sentiment a progressivement changé et j'ai fini par admirer ce que je feignis d'abord de détester. Le premier responsable est le catholicisme qui a commencé à se débarrasser de la pompe de ses cérémonies, de la décoration chargée de ses églises et de ses chants immémoriaux. On avait devant soi un cube de béton en guise d'autel, tout un mobilier baroque avait été fourgué et le grégorien remplacé par des cantiques qui ressemblaient à ceux des protestants. Autant préférer alors l'original à la copie. Le film de René Allio, Les camisards ou la pièce de P.A Breal La grande oreille, grand succès de "Au théâtre ce soir" m'ont rappelé que les Cévenols furent aussi héroïques que les Vendéens. Il était, d'autre part, difficile de dénier aux protestants une grande attirance pour les professions intellectuelles où ils réussissent brillamment. Cela méritait d'être admiré, comme cette fameuse HSP dont l'influence et l'entre-soi sont souvent condamnés (reproches faits aussi aux Juifs : antisémitisme et anti-protestantisme sont souvent liés) mais qui avait su donner à une petite minorité une place et un pouvoir bien supérieurs à ce qu'on pouvait attendre. Ce que je leur imputais à mal : nuque raide, orgueil, me semble maintenant une vertu dans une période d'avachissement général. Je ne rate plus désormais un "musée du protestantisme" comme il y en a dans beaucoup de régions et j'ai été ému de découvrir en vidant une maison de famille, une bible offerte par une société évangélique à un de mes arrière-grands-pères, probablement à l'occasion de sa communion.
Et Dieu dans tout ça ? Oh, Dieu...