"L'affaire Benalla" : dégonflons la baudruche
Comme le sublime Jean-Jacques au début du Discours sur l'inégalité, commençons donc par écarter les faits. D'abord parce qu'ils sont tordus dans l'intérêt de chaque parti, ensuite parce qu'au fur et à mesure que la mayonnaise montait mon intérêt pour cette affaire de corne-cul faiblissait et ma lecture des articles de journaux et commentaires des facebookiens devenait de plus en plus rapide et fragmentaire. On ne trouvera donc ici qu'échos trompeurs et images fugaces.
Un jeune beur, donc, ambitieux et désireux de s'intégrer, s'introduit dans des partis politiques par le biais de la sécurité. Il a quelques atouts : une bonne présentation, le physique qui convient et un diplôme de droit. Recruté par LREM, il est remarqué par le président et peut commencer sa marche triomphale : salaire intéressant, logement de fonction, un poste de chargé de mission, et surtout l'amitié du Prince qui trouve peut-être en lui une jeunesse qu'il n'a pas vécue. Mais la Roche Tarpéienne est proche du Capitole : un fatal 1er mai il se rend comme observateur ou plutôt simple curieux (il s'était engagé dans la police à 17 ans) auprès de forces de l'ordre déployées contre une manif, on lui prête un casque et un brassard et il tabasse un manifestant (oh, jeunesse pleine de sang et d'ardeur !), un de ceux qui "étaient là par hasard", mais le hasard faisant bien les choses ont sous la main des objets contondants qu'ils balancent sur la flicaille au service du Grand Capital, manifestant qui ne porte même pas plainte alors que ce genre d'individu sait admirablement se servir de la justice bourgeoise. Fin de l'histoire ? Mais non un caméraman au service de FI qui passait par là (il devait habiter le quartier...) filme la scène et, Benalla ayant été reconnu, l'histoire s'emballe, relayée par Ariane Chemin du "Monde", journaliste de grand talent dont on ne pensait pas qu'elle pouvait être fouille-merde. A partir de là le gouvernement multiplie les maladresses en cherchant à dissimuler une affaire qui n'en était pas une.
Le scandale éclate donc. Rappelons, avant d'aller plus loin, sur quoi il est basé : un port illégal d'uniforme et des violences sur un manifestant, faits qui relèvent du tribunal correctionnel et sont assez banals. La tentative de dissimulation est plus grave moralement, il se peut qu'elle ait eu lieu sur ordre du président, mais on a connu bien pire...Bien vite cette banale affaire prend une dimension apocalyptique. Les réseaux sociaux ne bruissent plus que de ça, propageant le moindre bruit de chiotte sans l'ombre d'une vérification. Le montant du salaire de Benalla est doublé, son appartement de fonction voit sa surface quadruplée et, bien sûr, - nous sommes français, n'est-ce pas ?- on tombe vite dans le crapoteux : le bel Alexandre aurait couché avec la roi, la reine et le chien Nemo.Les jugements les plus outranciers sont portés : canoniques allusions aux "heures les plus sombres" et aux années 30, dénonciation indignée des "miliciens" du président (rigolo de la part d'un Mélenchon, soutiens indéfectibles, hier des milices de Maduro et demain de celles d'Ortega). Qui annonce la fin de la République, pas moins, qui un "scandale d'état", d'autres le règne des barbouzes. Chacun est devenu amnésique dans son petit coin : oubliés les barbouzes du Général, les vrais, ceux qui enlevaient ou assassinaient, parfois au mépris de la souveraineté des états, oubliés les meurtres du SAC, les Irlandais de Vincennes ou le Rainbow warrior...Il semble que naviguer sur Facebook fasse de vous un éminent juriste qui connaît sur le bout du doigt son code jusqu'aux alinéas.
Derrière cette agitation on trouve un quarteron de politiciens ou de militants aigris qui dévoilent leurs frustrations et leur désir de revanche, des gens qui n'accordent même pas la légitimité de son élection à Macron : trop jeune, sans parti, ayant profité d'un effet repoussoir et de la bêtise des castors. Le parti le plus visible est FI qui n'a pas digéré l'échec des grèves SNCF, la loi du travail, les raz de marée populaires qui tournent au clapotis ou l'occupation de Tolbiac en eau de boudin. A ses côtés le RN en pleine déconfiture, qui a vu sa présidente humiliée par Macron et qui est fâché de voir des Arabes approcher du pouvoir. N'oublions pas les fillonistes et leur rêve d'un France du bas de laine consacrée au Sacré-Coeur. Et surtout, je ne sais trop comment les appeler, les scrogneugneus ? qui rassemblent les derniers chevénementistes, les anti-américains forcenés et les tenants du patriotisme économique pour qui Macron est l'Ennemi, c'est-à-dire le Diable. Pour mémoire le PS aussi qui, pour son supposé redressement, n'a trouvé que le charismatique Faure (qui est loin de valoir Edgar...). Surprenante cette haine que Macron provoque (on veut lui "faire sa fête"). on peut comprendre que De Gaulle ait été détesté pas les Pieds-noirs, Mitterrand par une Droite apeurée qui voyait venir les chars russes, que Sarkozy ait été moqué pour sa vulgarité et Hollande universellement méprisé, mais Macron ? Après tout il met en place ce qu'il a promis, a redonné un peu de prestige à la France, n'a pas été clivant. Alors, influences des réseaux sociaux, brutalisation de la politique ? Voilà qui laisse bien des choses à penser...