Pourquoi je n'aime pas le foot
Ne faudrait-il pas s'en excuser au moment où des braillards barbouillés de bleu-blanc-rouge envahissent les rues, où les furieux du klaxon transpercent nos oreilles, où s'élèvent des terrasses de cafés de pathétiques "Marseillaises" qui témoignent que l'école républicaine a été infoutue d'enseigner aux petits Français leur hymne national ? Comment osé-je refuser de me joindre à cette communion de toute la nation pour la victoire des Bleus ? Eh bien, justement parce que les Bleus sont les Bleus, nom de Dieu, et parce que depuis mon enfance je me refuse à aboyer avec les roquets.
Remontons à des temps antédiluviens. Même si traînent encore dans ma mémoire les noms de Kopa ou Just Fontaine, associés à l'équipe de Reims, je n'ai vraiment découvert le foot qu'en pension. Nous n'y jouions pas dans notre école de village et n'avions pas la télé. Au lycée, au contraire, à peine la sonnerie de la récréation avait-elle retenti qu'une partie s'organisait dans la cour du "petit quartier". Nous autres, malheureux sixièmes, en étions exclus, mais pouvions constater que les joueurs habituels étaient souvent les garçons les plus brutaux ou grossiers au moment du bizutage et assez vite nous avons appris que c'étaient aussi les élèves les plus médiocres. Inconsciemment je considérais déjà les joueurs de foot comme des êtres primaires et incultes et essayais de m'en distinguer en lisant dans mon coin. Quelques années plus tard, s'ils ne jouaient plus dans la cour, ils épluchaient "L'équipe" tous les lundis matin, se lançant à la tête résultats et pronostics au lieu, pensé-je, de s'intéresser à la politique ou au cinéma. Pour les soirées télé qu'on nous octroyait parfois au foyer, des conflits s'élevaient souvent : match ou théâtre. Et qu'on ne vienne pas m'opposer les intellectuels ou les écrivains qui ont pratiqué le foot ou prétendent s'y intéresser : Camus soignait ainsi sa tuberculose, le faux aristocrate Montherlant "allait au peuple" et n'était pas insensible aux ardentes surprises des vestiaires, pour les autres il n'y a là que snobisme ou mauvaise foi.
De toute façon là n'était pas le pire. Le dimanche, les pensionnaires punis ou abandonnés par leurs parents étaient condamnés à une sinistre promenade qui évoquait celle des condamnés dans la cour de leur prison. Le simple fait de sortir du lycée et de contempler le spectacle d'une liberté dont nous étions privés nous faisait souffrir, et plus encore le but de la promenade. Nous appelions de nos voeux la pluie car alors le pion, peu soucieux de se mouiller, nous conduirait au cinéma, mais le plus souvent c'était foot. Par les dimanches sinistres nous traversions un ville endormie en rang par deux jusqu'à un quartier industriel en déshérence où avaient fermé les chamoiseries qui avaient fait la réputation bien modeste de l'endroit. Le stade était minable, il me semble même que les tribunes étaient en bois. Du reste la majorité des spectateurs, engoncés dans leur pardessus, coiffés d'un béret ou d'une casquette, assistaient au match debout. Refusant cette distraction qu'on m'imposait, pour échapper au froid, je faisais des tours de stade, jetant à peine un coup d'oeil aux joueurs. En revanche je regardais avec effarement les spectateurs dont l'absence complète de fair play me semblait scandaleuse : huées et sifflets quand l'arbitre semblait favoriser l'équipe adverse, murmures quand celle-ci marquait un but, clameurs sans retenue quand les locaux marquaient, et à la mi-temps ils allaient commenter ça à la buvette avec force éclats de voix. Est-il utile de préciser que la plupart,alcooliques et bouffis étaient incapables de pratiquer quelque sport que ce fût. Je fus vacciné à jamais contre cet esprit de clocher qui avait vite fait, pour les matchs internationaux de se transformer en chauvinisme haineux.
Comme on peut s'en douter, et ce n'était peut-être pas très malin, j'adoptai l'attitude inverse. Chaque fois que la France est battue, je me réjouis de sa défaite et me repais de la mine déconfite de ses supporters qui, d'ailleurs, le prennent parfois mal...Je pourrais, certes, jouir du spectacle qu'offre, dit-on, un match de foot, de l'habileté que je ne nie pas de certains joueurs, mais je crois que c'est trop tard : il me manque tout un apprentissage et une pratique que mes petits camarades ont découragée en me collant au poste d'arrière-gauche quand le prof de gym leur imposait ma présence. Je ne considère plus que le résultat, comme un lecteur de "L'équipe" et salue d'un ricanement sardonique les défaites des Bleus. Mais les faits me donnent-ils entièrement tort ? Quand j'apprends que dans un pays du Tiers monde les spectateurs s'entretuent,ou quand tout bonnement on truque le match Triffouillis-les-oies vs Clocher-les-bécasses, je me dis que le foot patauge dans le fric, le sang et la haine de l'autre. Je garde même, oserais-je l'avouer, un très mauvais souvenir de la prétendue "communion" de 1998 : cris bestiaux des supporters, drapeaux brandis alors que le patriotisme a depuis longtemps disparu chez les "Français de souche" et que la haine de la France est réelle chez beaucoup d'immigrés jeunes, voitures brûlées parce qu'il n'y a pas de fête réussie sans ça. Mensonges, mensonges ! Le pire étant le fameux slogan "black, blanc, beur" dans un pays qui dérivait déjà vers le communautarisme. Et dire que ça risque de recommencer cette année ! Au moins, garez vos voitures, je vous aurais prévenus...