Souvenirs de lycée ou J-M Blanquer a raison
C'était en des temps lointains, avant 1968, et je découvrais grâce à mon correspondant anglais l'organisation des études dans les grammar schools. A partir de la 1ère (peut-être même de la 2de) le nombre des matières étudiées diminuait, chaque élève choisissant celles qui l'intéressaient le plus. Si ma mémoire est bonne il se retrouvait en terminale avec 4 subjects répartis probablement en majors et minors, peu ou prou le projet de notre ministre. Comme je l'enviais ! J'aurais aimé ne faire que du français, des langues anciennes et de l'histoire qui me passionnaient, or en classe de philo on nous imposait aussi des matières scientifiques qui, souvent, nous rebutaient et dans lesquelles nous n'en fichions pas une rame. Je me rappelle encore le prof de physique que nous mettions avec nos sottises dans des rages folles (l'un de nous, qui se piquait de psychanalyse, les expliquait par une continence due à l'état de grossesse avancé de sa femme...). Je fus quand-même favorisé par le sort car les maths furent, cette année-là, réduites à une option pour les élèves de philo. J'en profitai, mais dès l'année suivante elles redevinrent obligatoires au nom de la sacro-sainte culture générale, comme si 6 années de lycée n'avaient pu nous la donner; à moins que cette décision ne ait été prise sous la pression de syndicats, défenseurs farouches des horaires pléthoriques. Comment ne pas voir que la réforme de Blanquer épargnera aux élèves l'ennui, l'impression de perdre son temps, la mauvaise volonté dans le travail ? Elle est empreinte de bon sens : qui douterait qu'on ne travaille mieux quand la matière vous intéresse et qu'on ne répugne pas à approfondir le sujet après le cours. Philo pour tous, bien sûr, les élèves n'en ont jamais fait et la plupart n'en feront plus après et cela permettra de lisser des horaires qui sont démentiels en terminale L : 8h ! On allégera ainsi un examen devenu une sorte de monstre au corps énorme, aux tentacules de plus en plus nombreuses chaque année, engloutissant des sommes faramineuses avant de recracher des cohortes de jeunes gens et de jeunes filles désorientés, au sens propre.
D'autre part la plus grande vertu de cette réforme est de mieux préparer les lycéens à l'enseignement supérieur, et de permettre ce qu'il faut bien appeler une sélection (n'ayons pas peur des gros mots !) qu'on lâchement refusé d'instaurer depuis des décennies, imposant aux étudiants des conditions de travail indécentes. Elle pré-oriente les élèves qui ne se retrouveront pas largués dans leur nouvel environnement en choisissant des disciplines qu'ils connaissent déjà ou en ayant de bonnes bases pour celles qui sont nouvelles (pas besoin des mises à niveau coûteuses en temps et en argent au cours d' une année propédeutique). Du reste les choses se passaient ainsi de mon temps : La philo conduisait en lettres ou en droit, math-élem ou sciences-ex dans les facs de sciences ou de médecine, même s'il y avait quelques exceptions allant toutes dans le même sens : un scientifique passionné de littérature pouvait choisir la fac de lettres. Il n'y aura plus de masses d'étudiants choisissant en fonction des places disponibles et non de leur désir des matières pour lesquelles ils n'ont ni bases ni appétence, ils perdent ainsi un ou deux ans dans l'ennui et la précarité. Comment peut-on s'inscrire en lettres modernes, par exemple, quand on n'a lu que la littérature enfantine diffusée en collège et ensuite juste un peu de S-F et les oeuvres étudiées pour le bac de français, ou faire de l'histoire quand on place le règne de Louis XIV au Moyen âge ?
Je n'arrive pas à comprendre comment une réforme si bien conçue peut susciter une telle opposition chez certains. Ou plutôt je le comprends très bien. Il y a les conservateurs de tout poil qui, bien qu'ils tiennent souvent un discours progressiste, ne veulent pas qu'on change quoi que ce soit à un système dans lequel ils sont si confortablement enkystés, ceux qui se gargarisent du "bac, premier grade universitaire" alors qu'il est justement coupé de l'université et de ses pratiques, ceux pour qui c'est, comme le défunt certificat d'études, une part sacro-sainte de notre héritage, alors qu'il a changé considérablement depuis sa création et qu'il ne s'agit pas de le supprimer. Parmi eux se trouvent les profs qui poussent des cris d'orfraie dès qu'on touche à "leur" discipline en diminuant les horaires, car cela signifie, avant tout, moins de postes. Vous m'objecterez qu'ils sont à l'abri d'un licenciement dans la Fonction publique, oui, mais pas d'une mutation. Si maintenant des fonctionnaires doivent muter en fonction des besoins du public qu'ils servent, où va-t-on ! D'après les sondages les élèves, eux, seraient plutôt favorables à la réforme du bac. Pour l'instant. Je fais confiance à leurs "grands frères" de l'Unef (et leurs "grandes soeurs", où avais-je la tête ?) et aux insoumis de toute obédience pour souffler sur les braises, mentir de façon éhontée et les mettre dans la rue. J'espère pourtant que le ministre, qui a montré qu'il a du caractère, restera droit dans ses bottes et que le bon sens et l'efficacité remplaceront la politique démagogique menée jusqu'à maintenant.