Jeff Koons : "J'vous ai apporté des tulipes"...
Ah, ce bouquet de tulipes, quelle tempête dans le marigot ! L'artiste-plasticien Jeff Koons, dont la cote prouve sans équivoque le génie, veut donc offrir à Paris une oeuvre en signe de solidarité et en hommage à sa résilience après les attentats de novembre 2015. Enfin, "offrir", entendons-nous : étant donné les dimensions de l'oeuvre et les problèmes d'installation qu'elle pose, elle coûtera la bagatelle de 3 500 000 euros ("l'idée" est gratuite, merci Jeff !). Calmez-vous : le mécénat privé prendra en charge cette somme. Tout paraissait donc aller pour le mieux dans la meilleure des villes du monde quand une bande d'artistes grincheux (des jaloux ?) pétitionna dans "Libération" qu'on croyait plus ouvert à l'Art moderne. Ces médiocres pincèrent d'abord le nez devant le prix, faisant remarquer que le populo mettrait quand-même la main à la poche indirectement puisque le mécénat donne droit à de considérables déductions fiscales qui seraient autant de perdu pour le Trésor public, notre bourse commune. Vous vous étonnez peut-être qu'une sculpture puisse coûter si cher, même en francs-or Rodin n'a jamais été payé autant. C'est que vous ne connaissez pas le style Jeff Koons qui consiste essentiellement à reproduire en cent fois plus gros des objets ou souvent des animaux pris dans la BD ou la littérature enfantine (lapins, "balloon dogs"...). Ceux qui ont supporté des années le pot de fleurs de J-P Raynaud sur le parvis de Beaubourg comprendront ce que je ressens. Le bouquet en question pèse 33 tonnes et mesure 12m de haut. Nos pétitionnaires contestaient aussi l'endroit où doit être érigé ce chef d'oeuvre, sur l'esplanade entre le Musée d'art moderne et le Palais de Tokyo, d'abord parce que cela représente un danger pour les infrastructures de celui-ci et surtout parce que c'était bien loin de l'endroit des attentats. Là, ils se montrent bien naïfs, non, ils jouent les naïfs. Ils savent bien que ce qui compte avant tout pour Jeff Koons, c'est sa cote et qu'il faut pour sa publicité assurer le maximum de visibilité à son bouquet qui aurait été à l'étroit dans les rues de bobotown. Ils savent aussi que cet artiste rusé, avec la complicité de marchands avides et l'ignorance de parvenus bourrés de thune, a fait exploser la spéculation dans le marché de l'art. Du reste notre artiste ne répugne pas à travailler directement pour eux, illustrant des sacs Vuitton en reproduisant de grandes oeuvres de la peinture classique pour le plus grand bonheur des femmes du Golfe et des mousmés.
Allons-nous donc avoir en hommage à nos morts cet énorme bouquets de fleurs artificielles baptisées "tulipes" qui ressemblent à celles qu'on voit s'empoussiérer au fond de merceries de campagne ou dans des bazars de Chinatown, bouquet tenu par une main rosâtre ? Peut-être pas, car une guéguerre s'est déclarée entre la grande Anne et la petite Françoise dont dépend le Palais de Tokyo. Celle-ci temporise en exigeant des expertises pour voir s'il n'y a aucun risque pour son musée sans oser dire probablement tout le mal qu'elle pense du cadeau. Hidalgo, elle, est gonflée comme la grenouille de la fable. Pensez, un artiste de la plus illustre métropole du Monde qui rend hommage à Paris, la ville dont la princesse est une infante. Certes on ne l'a jamais vue manifester le moindre goût pour l'art ou la littérature - c'est assez rare dans le corps des inspecteurs du travail - mais on lui a dit que Jeff Koons était un grand artiste, elle a peut-être même vu quelques reproductions de son oeuvre dans la vitrine d'un encadreur et a apprécié cette forme d'art à la fois moderne et populaire qui ne s'égare pas dans une abstraction élitiste. Elle va donc défendre bec et ongles l'érection de ce joujou qui sera un digne pendant du fameux plug anal et je ne ferai guère fond sur la timide Nyssen pour s'y opposer efficacement Et, hop, un peu plus de laideur dans une des plus belles villes du Monde, notre maire ferait mieux de s'occuper de ses rats.