Renaud Camus : mort d'un écrivain
"Le génocide des juifs était sans doute plus criminel mais paraît tout de même un peu petit bras auprès du remplacisme global".
Comment en est-il arrivé là ?
J'ai découvert Renaud Camus en 1985 avec son Journal d'un voyage en France que j'ai lu avec un grand bonheur. L'écrivain, que son éditeur avait pourvu d'une voiture et de quelque argent, part sur les routes de France en suivant un itinéraire dont j'ai oublié la logique, si ce n'est la recherche de la beauté dans les paysages du "coeur frais de la France", les châteaux perdus et leurs grands parcs, les bastides et les musées. Les "morceaux" de description d'oeuvres d'art ou de paysages étaient éblouissants (je ne connais personne qui sache mieux donner l'envie de découvrir un tableau ou une ville). A côté de cette prose somptueuse il y en avait une plus familière dans laquelle l'auteur renaudait contre le bruit dans les hôtels, la grossièreté du langage de ses contemporains ou l'ignoble transformation des abords de villes. Il était aussi beaucoup question de sexe. Renaud Camus, dans la force de l'âge, menait une chasse effrénée au plaisir qui me fascinait, moi, pauvre hétérosexuel. Au fin fond de la province, elle était parfois dangereuse mais dispensait aussi d'heureuses surprises et de vifs moments de volupté. On découvre ainsi qu'à Mazamet, Auch ou Pamiers (noms pris au hasard...), au bord des fleuves, dans les jardins publics ou autour des gares qui ne s'éveillent qu'au jour, des ombres se frôlent, s'étreignent et jouissent pendant que le bourgeois dort sous son bonnet de coton. Ce regard aigu sur une France qu'on n'appelait pas encore "périphérique", ce mélange de style somptueux et familier me séduisirent et je voulus en lire plus. Sa carrière avait été lancée quelques années avant par Tricks, portraits d'amants de rencontre, mais il s'était adonné aussi à une littérature expérimentale très années 70 (Passage, Travers...). Il s'essaya aussi au roman traditionnel avec moins de bonheur. Que n'écrivit pas ce graphomane ! Poésie, essais politiques ou moraux, guides touristiques...Mais c'est le journalier qui passera à la postérité. Après un Journal de Travers écrit à la fin des années 70, sorte de Journal des Faux-monnayeurs et trépidante évocation de ses amours et de la vie du Paris gay de l'époque, il écrit un Journal romain lors de son séjour à la villa Médicis puis, à partir de 1987 publiera ponctuellement chaque année un récit détaillé de sa vie, ses lectures, ses voyages, ses réflexions sur le monde comme il va, ses baisades et ses amours.
Une belle carrière, direz-vous, oui mais non...
Elle avait pourtant bien débuté. Un jeune homme brillant suit le séminaire de Roland Barthes, est remarqué par le Maître et vite lancé dans le monde gay de la capitale. Il voyage, notamment aux USA, et découvre Haight Ashbury, la Factory de Warhol, fréquente de nombreux artistes. Écrivain marginal mais estimé, il a de l'entregent, réussit à être pensionnaire de l'Académie de France, écrit des chroniques au "Gai pied". Malheureusement il choisit de quitter Paris pour aller jouer les châtelains en Gascogne, satisfaisant un très vieille envie de château et une fascination pour la vieille France. Ses ex-amis daubèrent ce bourgeois-gentilhomme en veste de tweed qui affichait des opinions de plus en plus réactionnaires. Puis éclata en 2000 "l'affaire Renaud Camus" : quelques notations sur son journal à propos de journalistes de France-cu le firent accuser d'antisémitisme. Comme de juste on tronqua les citations, les pétitionnaires brandirent leur plume assassine (depuis 1944 rien ne fait plus jouir les écrivains français que d'interdire leurs semblables comme l'a récemment montré l'affaire Richard Millet) et on ne voulut pas voir que si la dénonciation manquait son but, fleurissent toujours sur notre radio nationale copinage, lobbys et pensée unique. Quoi qu'il en soit il fut mis au ban de ses confrères et ne garda comme amis que Finkielkraut et Claude Durand qui ne s'en laissait pas conter. Il le soutint jusqu'à son départ en retraite et publia le Journal jusqu'en 2012. Là, Fayard l'abandonna et comme Pierre-Guillaume de Roux ne peut héberger tous les maudits, on ne peut plus lire Renaud Camus que sur Internet. La censure douce a encore de beaux jours en France...Ajoutons à cela ses problèmes financiers récurrents, l'échec d'une candidature à l'Académie française à laquelle il croyait, conscient d'en valoir bien d'autres. Sa dérive politique continua. Obsédé par la menace que faisait peser à ses yeux l'immigration, sur la culture et la société française, il trouva la formule maintenant fameuse de "Grand remplacement". Son erreur, là encore, n'est pas totale. Certes il n'y a pas de complot et de volonté de mettre à genoux l'occident, mais existe bien un double appel d'air d'un patronat avide d'esclaves mal payés et de benêts multiculturalistes parce que déculturés. Cela l'amène à fricoter avec le FN ou pire encore des identitaires devant qui il parle parfois, homme cultivé au milieu des skinheads...Chaque jour il écrit un communiqué très incorrect que personne ne lit de son fantomatique "Parti de l'in-nocence".
Faisons un peu de psychologie de bazar. Sa solitude toujours plus grande, le sentiment d'échec de sa carrière littéraire, le silence qu'on lui impose, le désespoir de voir massacrées une culture et une langue auxquelles il est profondément attaché, le "c'était mieux avant" du vieillard qu'il est devenu, son hystérie qui transparaît dans son journal, un masochisme compensatoire "Vous voyez, je suis encore pire que vous pouvez l'imaginer", l'ont mené à cette déclaration abjecte qui réunit ses deux obsessions et détruit la belle défense qu'il avait écrite après "l'affaire" (Du sens). Pas de doute il est entré dans la folie, et pourtant, je suis persuadé qu'après quelques années de "purgatoire", on redécouvrira cet écrivain de grand talent et on le lira sans honte. Quelques happy few seulement ? Stendhal s'en contentait...