"Un beau soleil intérieur" : hommage à Juliette Binoche
J'y allais pourtant à reculons : la quasi unanimité de la critique, les épithètes élogieuses qui surchargeaient l'affiche, me faisaient craindre une de ces manifestations de copinage si fréquentes dans le cinéma français (en quoi j'avais tort car Claire Denis est une cinéaste très personnelle et inclassable, éloignée de - disons - la bande à Desplechin et de ses séides). De plus, alors que j'attendais pour entrer dans la salle j'en ai vu sortir les spectateurs de la séance précédente : une femme, l'air accablé, grommelait et un homme s'écriait :"Que c'est emmerdant!".
Les rustres! J'ai vu un film magnifique avec celle qui est sans doute la plus belle et la plus talentueuse de nos comédiennes. Difficile, pour décrire Binoche, d'éviter les épithètes convenues dont je me plaignais plus haut : elle est vraiment lumineuse, bouleversante et magnifique, qui ne succombe pas à son charme - au sens le plus fort du terme - est une brute ou une dinde. D'entrée elle se donne à nous dans cette première scène où elle fait l'amour avec son banquier. Oh! rien de pornographique : on ne voit que ses seins émouvants, on entend les mots de tendresse qu'elle prodigue à ce gougnafier qui ne les mérite pas et qui, dépité par un demi-échec, lui lance une vanne qui la fait pleurer, puis presque aussitôt elle l'étreint tant elle a besoin d'être aimée. Tout le film est une poursuite désespérée de l'amour par une femme qui se donne entièrement et doit faire face à l'égoïsme, au cynisme ou à la lâcheté de ses partenaires. Le banquier est un mufle grossier et tyrannique, elle tombe ensuite sur un acteur alcoolique et velléitaire, son ex-mari revient avec une idée derrière la tête mais son masque d'ex-parfait tombe vite, elle tâte même du prolétaire (c' est une femme peintre qui ne fréquente que ses pairs ou des galeristes) mais un de ses amis casse son jouet en soulignant la différence entre leurs deux mondes...On la voit pleurer dans ses nuits solitaires mais repartir le lendemain au combat, un peu plus triste et blessée, jusqu'à cet épisode final, avec un Depardieu enveloppant et pervers, qui suspend un récit sans laisser place à l'espoir. Le film est qualifié de comédie. Certes, il y a un comique de caractère dans les dialogues et surtout la séquence hilarante des artistes en goguette à La Souterraine (!) pour un festival (difficile de ne pas penser à la Foire du livre de Brive dont Christiane Angot, co-scénariste, est une habituée, d'autant qu'elle s'est visiblement inspirée d'un épisode de sa vie personnelle avec la rencontre dans la boîte de nuit provinciale). Les réflexions et exclamations de nos bobos artistes se promenant dans une campagne limousine hivernale sont à pisser de rire. Mais moi, j'y verrai plutôt une tragédie tant le chagrin de l'héroïne bouleverse et tant sa quête est désespérée. En tout cas c'est un grand film féministe, le deuxième cette année avec Certain women de l'américaine Kelly Reichardt, et ça va beaucoup plus loin que les films qui dénoncent une inégalité sociale entre les deux sexes qui tend à disparaître (sauf, évidemment, dans des pays que la décence politique m'interdit de nommer), car ce qui est dénoncé c'est le fossé qui sépare hommes et femmes dans le domaine amoureux. Cela n'est pas rien...
Merveilleuse coïncidence : en sortant du cinéma je vois un panneau publicitaire où le visage de Kristen Stewart sert à vanter un parfum de Chanel. Or le film qui l'a révélée est justement Sils Maria d' Assayas où elle était la partenaire de Juliette Binoche et elle joue aussi dans Certain women. C'est comme s'il existait un monde parallèle où de grandes réalisatrices tournent avec des comédiennes très belles et très intelligentes de beaux films loin des blockbusters, des dardenneries ou des desplechineries...