120 battements à la minute (ou peut-être un peu moins...)
Surmontant mes réticences, j'ai fini par aller voir le film de Campillo. Il faut préciser que, comme disait le slogan, le sida n'est pas passé par moi, je veux dire que la lutte contre ce fléau ne m'a jamais paru une priorité et en outre que j' ai côtoyé très peu de malades. Le succès du film à Cannes, d'autre part, ne me convainquait pas : rappelons qu'il y a bien peu de cinéphiles dans le public du festival. L'injonction de la Presse à aller le voir m'agaçait : je craignais que ce ne fût un autre film-téléramuche, bien-pensance et moraline, et - allons jusqu'au bout dans l'aveu, et que Dieu me pardonne - une manifestation du lobby LGBT. Je gardais toutefois un bon souvenir des Revenants, film fantastique très original du réalisateur et j'étais curieux de voir comment il continuait sa carrière. En fait, si le film ne méritait pas le concert d'éloges qui l'a salué, il est intéressant et bien fait nonobstant quelques défauts.
Il évoque donc la lutte menée par l'association Act up dans les années 1993-94 si je ne me suis pas embrouillé dans les repères temporels. Contrairement à d'autres associations elle avait choisi des moyens de lutte radicaux pour donner plus de visibilité à la maladie qu'à son avis pouvoirs publics, labos pharmaceutiques et chercheurs négligeaient. Le réalisateur a fait le choix d'une reconstitution à laquelle il ajoute parfois des bandes d'actualité. Très peu, mais assez pour qu' on se prenne à rêver parfois à l'intérêt qu' aurait un documentaire sur le sujet avec images d'époques et interviews. Mais n'allons pas lui reprocher son choix : un roman peut dire plus sur une époque ou un évènement qu'un livre d'histoire. Le lieu central du film est cet amphi où les membres de l'association se réunissent chaque semaine pour programmer des actions ou en faire le bilan. Son atmosphère rendue fiévreuse par la présence de la mort, les affrontements, et les rivalités des militants sont parfaitement évoqués. Peu à peu des personnages se dégagent marqués par leur état de santé ou leurs positions militantes. Sont remarquablement filmées aussi les attaques menées contre des instances officielles, des labos, caméra à l'épaule, dans un grand éclaboussement de faux sang (l'affaire du sang contaminé et la recherche de médicaments pour remplacer l'azt sont au centre des préoccupations). Le ton oscille entre la colère (parfois injuste sous la forme "je vais mourir, vous devez trouver un médicament maintenant) et - rarement - la mélancolie vite désamorcée par le rire (ainsi cette séquence dans le métro où un malade au milieu d'un groupe de militants s'extasie sur la beauté du soleil couchant, sur le goût que le sida a donné aux jours qu'il vit plus intensément...et éclate de rire en s'exclamant "quelles conneries je dis !")..jamais l'humour n'a mieux mérité sa célèbre définition "politesse du désespoir". Le film m'a rappelé des détails que j'avais oubliés, par exemple les interventions dans les lycées avec distribution de capotes qui précédèrent les polémiques sur l'installation de distributeurs. Alors que Fabius était injustement accusé, on a aussi crié dans les manifs "Mitterrand assassin", c'était aller un peu loin. Il fut un temps où la Gay pride était un défilé militant et paradoxalement ce fut Act up, plutôt anticonformiste, qui introduisit la première pom pom boys et un camion avec blasters diffusant la musique infecte et assourdissante des boîtes, ouvrant le chemin à celles-ci qui ont transformé ce défilé en chienlit commerciale. Je mettrais quand-même quelques bémols, Campillo a plaqué sur ce qui aurait pu rester un film sans héros une histoire d'amour qui, bien sûr, se termine mal et tombe parfois dans la mièvrerie (mais sait aussi l'éviter comme le prouve la scène du branlage). Il a choisi aussi de ponctuer les séquences par des intermèdes "poétiques", images de danse dans une boîte gay sur une musique de sauvage, longue enculade dans la pénombre qui rappelle fâcheusement La vie d'Adèle. Pour terminer, un mot sur les acteurs. Tous sont excellents mais seuls quelques visages m'ont paru vaguement familiers, je me demande s'il a pris délibérément des inconnus, à la mode Bresson, ou si ce sont de jeunes comédiens, en tout cas le choix était excellent. En réalité je n'ai réussi à identifier qu'une actrice, Adèle Haenel. Son rôle lui convient parfaitement : elle fait la gueule.