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Causons derechef
19 octobre 2016

Le monsieur-qui-écrit-aux-journaux 2.0

Dans la France de naguère ou plutôt de jadis le monsieur qui écrit aux journaux était un personnage pittoresque et un peu ridicule. Il y avait celui des villes et celui des champs. Le premier, instituteur ou employé de bureau à la retraite, nanti d'une épouse grise et soumise, avec de grosses lunettes en corne et une tendance à la dyspepsie, écrivait ses lettres sur la table de la salle à manger, le dos au buffet Henri II. il dénonçait impitoyablement les fautes de grammaire des journalistes, était ferré sur les alliances des familles royales et très critique sur les embellissements de sa petite ville que chantait le localier. Habitué aux rapports hiérarchiques, il commençait toujours sa lettre par un "Monsieur le rédacteur en chef" et l'assurait à la fin de toute sa considération. L'homme de la campagne ou des bois n'était pas toujours si poli et pouvait clore sa lettre par un "je ne vous salue pas, monsieur" mais il n'était jamais injurieux, et élevait le débat. Atrabilaire et misanthrope, il s'était réfugié au désert pour fuir une humanité dont il fustigeait les moeurs. Méditant sur les malheurs du monde et la méchanceté des hommes en crachant sur ses chenets, il s'emparait soudain de sa plume pour débusquer la filouterie des hommes politiques, condamner la décadence de la littérature et des arts, annoncer la fin imminente de notre civilisation, heureux quand-même dans sa thébaïde au milieu de ses chats et ses livres.

Que les temps ont changé ! Dans la presse en ligne on n'écrit plus au rédacteur mais on commente en direct l'article du journaliste lui-même, et surtout, au gré des "partages" on multiplie ses interlocuteurs qui ont jugé bon comme vous de réagir à la même chose et une sorte de dialogue ou d'échange s'engage. c'est du moins ce qui devrait advenir dans un monde idéal mais on en est loin. Tout et n'importe quoi est commenté, les "grands sujets" s'effacent derrière ce qui titille ou émeut : le cul de Kim Kardashian, le chaton maltraité par des sauvageons, Hollande chevauchant son scooter pour rejoindre sa dulcinée, Macron et la différence d'âge, la folle nuit de Cyril Hanouna... Et le style ! On s'injurie les uns les autres sans la moindre invention ou on pleurniche en évoquant son "coeur de maman", on s'indigne aussi : "comment les humains peuvent-ils...". on retrouve tous les tics de langage : en capacité de, sur Paris... quant à la syntaxe, n'en parlons pas, c'est souvent du petit nègre quand ce ne sont pas des borborygmes et l'orthographe est à l'avenant. Certes de rares internautes, sur des articles "sérieux", se livrent à des analyses subtiles et à des critiques constructives mais leurs posts sont si longs qu'ils découragent le lecteur moyen.

Pourtant tout a-t-il tellement changé ?Les grammar nazis pinailleurs qui relèvent avec gourmandise les fautes des internautes pour les déstabiliser et les décourager, sont les héritiers des vieux instits qui écrivaient aux journaux. Les obsédés de complots ne rêvant que d'illuminati ou de judéo-maçons aux doigts crochus ont une forme de folie qui rappelle les monomanies de certains de leurs prédécesseurs. Surtout on retrouve chez les uns et les autres le même mal-être, la même révolte avortée, la même solitude, réelle chez les anciens, virtuelle chez les contemporains, ce qui ne vaut pas mieux.

 

Commentaires
A
Ah le courrier des lecteurs....<br /> <br /> <br /> <br /> Un Anglais furieux avait écrit à son Times préféré en commençant sa lettre par "Je parie que vous ne publierez pas ma lettre !"<br /> <br /> <br /> <br /> Réponse expéditive du journal :<br /> <br /> <br /> <br /> "Vous avez gagné !"
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Z
Oui, évolution pas toujours heureuse de la société... Où finalement, on a parfois du mal à trier le bon grain de l'ivraie, ce qui profite bien entendu, toujours aux mêmes !
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