Michael Herr, Michael Cimino : guerre du Vietnam, littérature et cinéma
Ironie du sort, sont morts à quelques jours d'intervalle l'écrivain et journaliste américain Michael Herr et le réalisateur de cinéma Michael Cimino auteurs respectifs d'un livre et d'un film exceptionnels sur la guerre du Vietnam, l'un à la fin des années 60, l'autre en 1978.
Le premier fut l'envoyé spécial du magazine Esquire (une sorte de Lui plus sophistiqué) au moment où l'engagement américain était à son apogée (siège de Khe Sanh, offensive vietcong du Têt 68...) et il a suivi la guerre au plus près avec les G.I.'s : raids en hélicoptères, marches de nuit dans la jungle, attente dans les tranchées. On n'y voit pour ainsi dire pas l'ennemi dont la menace plane pourtant constamment mais il rend parfaitement les émotions et comportements des soldats noirs et blancs qui l'entourent en une vision hallucinée sous l'effet de l'herbe, de la fatigue et des amphétamines. Son récit est sous-tendu et rythmé par les morceaux de rock qu'écoutent les soldats au repos, voire au combat. Aucun jugement sur les causes de la guerre et la façon de la mener mais une empathie totale avec ses compagnons dont il décrit les souffrances sans pathos. Il illustre avec Tom Wolfe ou Norman Mailer ce nouveau journalisme qui est en fait un genre littéraire qui permet à l'écrivain d'exprimer sa subjectivité. Son expérience vietnamienne et le succès de Dispatches (titre trop neutre auquel on peut préférer le Putain de mort de la traduction française) l'amèneront à participer au scénario de deux films sur cette guerre : Apocalypse now et Full metal jacket de deux réalisateurs géniaux et un peu déjantés, ce qui ne devait pas le dépayser. Pour finir et pour donner le ton, une seule phrase - l'incipit - : "Pour les sorties de nuit, les médecins vous donnaient des pilules, la Dexedrine, et son haleine de serpents morts gardés trop longtemps dans un pot".
Cimino serait plutôt du genre auteur maudit. Après le retentissant succès de The deer hunter, il ruine United artists avec son ambitieux, génial et très cher Heaven's gate et sa carrière sera pratiquement terminée à l'instar d'un Orson Welles. Voyage au bout de l'enfer (le titre français, un peu raccrocheur, est plus parlant que le titre américain, même si la séquence de chasse est centrale dans le film. Cela dit il fait écho au roman de Mailer Pourquoi nous sommes au Vietnam qui critiquait l'engagement américain à travers la description féroce d'une partie de chasse en Alaska, miroir de la société étatsunienne) fut l'un des premiers films sur la guerre (et non le premier comme ont écrit certains, oubliant Les bérets verts de John Wayne ou Le merdier de Ted Post sorti la même année que le film de Cimino), le plus riche et le plus puissant pour le comparer à Apocalypse now qui fut aussi largement récompensé. Au contraire du film de Coppola qui la théâtralise, on y voit peu la guerre puisqu'il s'agit avant tout de parler de ceux qui l'ont faite, en l'occurrence un groupe de cols bleus de Pennsylvanie d'origine ukrainienne qui vont y aller et en reviendront démolis ou n'en reviendront pas. Cimino procède par grandes scènes comme dans le roman réaliste du XIXéme siècle : le mariage "ethnique" (comment ne pas penser à la noce d'Emma Bovary ?), la partie de billard puis la chasse, ces pierres de touche du mâle américain, la chute de Saïgon dont il a magnifiquement rendu la panique et le désespoir de gens pris dans une nasse mais libérés de toutes les entraves morales...Entre ces scènes des ellipses hardies qui peuvent déconcerter le spectateur et qui sont une des raisons de l'échec de Heaven's gate construit de la même façon (l'autre étant un supposé antiaméricanisme parce que Cimino racontait le massacre d'immigrants d'Europe de l'est par des éleveurs du Wyoming à la fin du XIXème siècle). En France, à l'inverse, la critique de gauche fut souvent dure pour The deer hunter à qui elle reprocha la façon dont les Vietcongs étaient représentés, comme s'ils avaient toujours respecté la convention de Genève sur les prisonniers...Le patriotisme des personnages lui déplut aussi : ils auraient dû condamner cette guerre comme des étudiants de Berkeley or ils ne le font pas. Ils se sentent profondément américains même s'ils portent des noms russes et le film s'achève sur une scène magnifique et bouleversante où, revenus au pays et réunis autour d'une table avec leurs proches, ils entonnent "God bless America".