"Nuit debout" : leur démocratie et la nôtre ou les fachos ne sont pas ceux qu'on pense...
Les masques tombent qui, de toute façon, ne cachaient plus grand chose : il faudrait avoir une sacré poutre dans l'oeil pour ne pas voir qu'entre casseurs et cracheurs le rassemblement quotidien de la place de la République n'a rien à voir avec un renouveau de de la politique et de la démocratie où le peuple récupérerait une parole qu'on lui confisque. L'expulsion brutale et ordurière d'Alain Finkielkraut qui était venu, même pas armé de son épée d'académicien, voir à quoi ressemble ce mouvement dont on parle tant, comme certains allaient à la Sorbonne ou à l'Odéon en mai 68, révèle l'intolérance et la fermeture d'esprit de militants qui n'écoutent que les prêcheurs de leur chapelle (ils ont été servis avec Varoufakis). Le philosophe s'est montré bien naïf et imprudent (ou courageux s'il a voulu jouer les révélateurs) : il devait bien se douter que telle chose lui arriverait. Depuis 68 il y a eu comme une brutalisation du militantisme politique que la Crise ne justifie pas forcément. Se proclamer agora ou forum citoyen et expulser le premier déviant venu, ça fait rire. Ce qui fait moins rire c'est qu'on y ajoute crachats et injures. Traiter Finkielkraut de "facho" est une ânerie, à la rigueur "réac", ou plus justement "conservateur", mais ça sonne moins bien. On sait bien que pour ces gens-là, dont on loue, on se demande bien pourquoi, les vertus citoyennes et le savoir politique, toute personne sur leur droite est "facho" ou, à l'occasion "pétainiste" voire "nazi" quand ils sont très en colère; cela au mépris de l'histoire et du sens des mots. Qui n'a pas été "facho" un jour ou l'autre, jusqu'à ce pauvre Chirac qui avait toutes les vertus d'un radical-socialiste et a été beaucoup moins ambigu que Mitterrand à propos de Vichy. Ajoutons que la campagne contre les néo-réacs orchestrée par "Libé", "l'Obs" et quelques autres a fait son effet sur des esprits juvéniles qui avalent sans réflexion tous les discours des maîtres-penseurs de gauche. Mais le plus choquant pour moi est le crachat. Fendons-nous d'un souvenir personnel. En 69 ou 70, dans ma fac de province, j'ai vu une bande de "situationnistes" auto-proclamés coincer un militant de l'Uec et le couvrir littéralement de crachats qui dégoulinaient de sa figure. Pour moi,celui-ci était comptable, en tant que communiste, de Prague, de l'écrasement de la révolution de Budapest en 56 et d'autres horreurs, mais le spectacle de ce lynchage m'a écoeuré et seule ma lâcheté m'a empêché de lui manifester ma solidarité. Le vrai fascisme est là, dans l'humilation de l'adversaire, dans le comportement des nervis de Mussolini, justement, qui faisaient avaler de l'huile de ricin à leurs adversaires, dans celui des résistants de la dernière heure qui traînaient par les rues des femmes tondues qu'ils insultaient, ou celui des soldats qui pissent sur le cadavre de leurs adversaires. Fascisme et fluides corporels, il y aurait une étude à faire...Que, de temps en temps, on ait envie de faire le coup de poing avec des adversaires politiques, ce peut être un jeu plaisant et une façon de mesurer ses forces, je l'admets volontiers. Expulser manu militari d'un meeting ou d'une manif qui ne pense pas comme vous, surtout si c'est un journaliste, est une marque d'intolérance, l'humilier une atteinte à la dignité humaine. Je veux bien croire que les nervis qui ont expulsé Finkie ne représentent pas tous ceux qui passent la nuit debout, mais enfin il ne s'est pas trouvé assez de gens pour le défendre et s'opposer à son expulsion. Ce mouvement, qui n'en était encore qu'aux balbutiements, s'est définitivement déconsidéré à mes yeux, paralysé par l'uniformité de la pensée et rongé par le sectarisme, il n'a aucune chance de se développer. Libre à Varoufakis d'y voir "des étincelles dans la nuit noire", ce n'est pas encore "L'heure des brasiers" pour reprendre le titre d'un film militant célèbre de 1969.