L'éduc.nat. et son "enseignement moral et civique" : c'est pas triste...
Le nouvel enseignement moral et civique promet d'être aussi édifiant que son modèle de la IIIème république. En témoigne ce petit texte qui a fait du buzz sur les réseaux sociaux sans parler des grognements et lazzi dans les salles des profs. La moralité en est très banale (le préjugé est source d'erreur est le racisme, c'est très vilain) mais son illustration vaut son pesant de cacahuètes et je ne résiste pas au plaisir de vous l'offrir.
Un soir, tardivement, tu dois rendre visite à une amie qui habite une cité que tu ne connais pas et tu es perdu. Tu arrives sur une place où se trouvent un SDF qui dort sur un banc, une bande de jeunes bruyants qui discutent sur un autre banc et un homme d'origine africaine en tenue traditionnelle accompagné d'une femme aveugle. A la sortie d'une supérette il y a une femme d'origine roumaine qui porte un bébé dans ses bras. Vers qui vas-tu demander ton chemin ? Qui évites-tu à tout prix ? Explique ton choix.
La première chose qui vous vient à l'esprit en lisant ce texte est que son auteur n'a jamais mis les pieds dans une cité (ce qui est assez probable : les profs, fussent-ils irréprochablement de gauche, chantres de la diversité et du multiculturalisme, habitent les centres-ville). Si un clochard dormait sur un banc à côté d'une bande de zyvas, il y a longtemps qu'ils l'auraient arrosé d'essence et y auraient mis le feu pour s'amuser. Exit le clodo. Quant aux supérettes ça fait un bail qu'elles ont fermé leur porte car les gérants en avaient marre de se faire piller et menacer. Exit donc "la femme d'origine roumaine" qui rackette ici les client en jouant sur leur culpabilité de nantis engraissés au RSA. Et "l'homme d'origine africaine en tenue traditionnelle" - pour faire simple, un Noir en boubou - ne peut-on l'imaginer dans le décor ? Si, mais c'est "la femme aveugle" qui intrigue. Pourquoi ce détail incongru ? Pensez à la parabole de l'Evangile sur l'aveugle et le paralytique, vous y êtes ? Eh oui, allusion au film qui a obtenu la palme d'or de la Moraline avant Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ? l'inoubliable Intouchables. L'idée vous frôle alors que l'auteur du texte est un joyeux drille qui se livre à un pastiche. Vous l'écartez aussitôt : un professeur est quelqu'un de sérieux qui ne badine pas avec la morale. Exit donc aussi ce personnage qui n'est qu'une allégorie. Le choix est simplifié pour notre jeune héros : il ne reste plus que la bande de jeunes. A ses risques et périls. Si cette cité n'est pas authentique sa population l'est-elle ? A première vue, oui, mais une belle conscience ne sera-t-elle pas choquée par l'emploi récurrent du terme "origine" ? Renvoyer les gens à leur origine est un gros péché, encore plus gros quand on se trompe même avec la bonne intention de ne pas "stigmatiser". La "femme d'origine roumaine" est une rom, ce qui n'est pas vraiment la même chose, demandez à un Roumain non-rom...Curieusement cette origine n'est plus invoquée pour les "jeunes bruyants", comme s'il allait de soi qu'ils ne pouvaient qu'appartenir à la "diversité", à un mélange où on peut même trouver une pincée de Gaulois. Espérons que l'élève saura dans son analyse faire la part du racisme et de l'anti-jeunisme. Quant au clochard, sans que cela soit dit, on sent qu'il s'agit d'un white trash, une épave, un de ces "petits blancs marginalisés" qui pourraient bien répondre à l'appel de la Sirène...Reste le héros qui est indéterminé, ce qui n'est pas très honnête car les groupes ethniques inter-réagissent et la situation peut changer du tout au tout en fonction de votre origine et de celle des personnes à qui vous vous adressez (pour ne pas parler de votre sexe). Du reste pourquoi vouloir chercher du réalisme dans un texte qui est visiblement un conte : le jeune héros va chercher sa belle princesse dans une forêt (une jungle, si vous préférez) profonde et sombre. il perd son chemin et cherche un guide comme Dante aux Enfers. Avant de suivre celui qui déjà mène une femme aveugle, il va devoir affronter un certains nombre de monstres qui défendent leur territoire et va devoir faire des choix vitaux.
Imaginons maintenant la réaction des élèves face au texte. L'élève poltron et pas trop futé choisira la femme rom parce qu'elle est la plus faible mais elle ne pourra le renseigner et se contentera de moduler "donne moi argent pour le bébé s'il vous plaît". Aurait-il choisi le clodo (un vieux, ça rassure) qu'il lui dégueulait sur les chaussures en l'injuriant. Aurait-il fait fond sur la solidarité entre jeunes qu'il se faisait dépouiller de son portable et du shit qu'il se promettait de fumer avec sa copine. Évidemment l'élève plus malin et ayant de la lecture ira directement vers l'adulte référent clone d'Omar Sy. N'avouez surtout pas qu'il y en a que vous évitez à tout prix, ça révèlerait votre sale mentalité : vous n'aimez pas les jeunes, les Noirs, les Arabes, les Roms, les vieux dégueulasses...Coupable, forcément coupable. Les profs vont s'amuser quand pour justifier son choix l'élève fera la pesée des qualités et des défauts de chaque race (oups! gros mot interdit). l'auteur a d'ailleurs été timide : il aurait pu ajouter un juif en papillotes et quelques Asiatiques dont le sourire stéréotypé dissimule une cruauté légendaire. On imagine le nombre de situations concrètes et de cas de conscience qu'on va pouvoir proposer à nos chérubins pour leur réarmement moral : tes camarades t'invitent à une "tournante" dans une cave voisine, tu essaies de les dissuader. Expose tes arguments et imagine leurs réactions. Ou bien alors : tu trouves un gros paquet de shit dans une boîte à lettres cassée. Vas-tu le rendre au caïd du quartier ou l' apporter au commissariat de police et attendre un an, un jour, pour le récupérer ? Expose-nous en détail ton débat intérieur. Ah, le progrès est une belle chose ! Que nous sommes loin des maximes qu'un vieil instituteur en blouse grise écrivait au tableau noir avant de les illustrer d'un récit ennuyeux ! Ici le jeune, plongé dans l'univers qu'il connaît, construit lui-même non seulement son savoir mais aussi sa morale.