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Causons derechef
9 octobre 2015

"Cemetery of splendour" d' Apichatpong Weerasethakul

cemetery of splendourApichatpong Weerasethakul (ouf !) fait partie de ces cinéastes qui vous font hésiter avant d'aller voir leur film. Disons le tout net, on craint de s'ennuyer : il vient d'un pays très différent du nôtre, ne respecte pas les codes du récit traditionnels et multiplie à plaisir les mystères qu'on a peine à percer et son fantastique nous est étranger. J'avais beaucoup aimé Blissfully yours, moins les films suivants, mais je suis tombé sous le charme, au sens étymologique, du dernier.

Le mystère plane dès le début du film : des soldats, atteints d'une maladie du sommeil dont personne ne comprend la cause ni n'entrevoit un moyen de la guérir, ont été confiés à l'hôpital d'une petite ville du nord-est de la Thaïlande. Ils se réveillent parfois pour quelques heures puis retombent dans leur narcolepsie. Les infirmières et quelques bénévoles leur donnent quelques soins de toilette et de confort et on a installé près de leur lit un dispositif lumineux un peu bizarre censé interrompre leurs cauchemars. Ce n'est pas le seul élément étrange du film : deux "déesses" à qui l'héroïne a fait une offrande lui apparaîtront et donneront du sommeil des soldats une explication fondée sur une légende, une jeune femme médium entre en communication avec l'esprit des soldats à la demande de leur famille et se plonge dans leur passé, on utilise des médicaments traditionnels proches des philtres et un gourou qui donne dans la méditation transcendantale fait une conférence à l'hôpital. Mais ce n'est ni dans la magie ni dans le fantastique que réside la beauté du film, ancré au contraire dans la réalité parfois la plus matérielle et dans la beauté des choses. L'histoire a pour cadre une petite ville sans pittoresque de l'Isan, cette région pauvre du nord-est de la Thaïlande foyer des "chemises rouges" d'où est originaire le réalisateur qui exprime pour elle son attachement dans certains dialogues. On voit peu la ville : la cour de l'hôpital où se déroulent de mystérieux travaux, une aire de pique-nique aménagée près de la rivière à peine entrevue, un marché de nuit, et pourtant on la reconnaît immédiatement semblable à des dizaines d'autres dans le Sud-est asiatique et on est saisi par son atmosphère. Le préoccupations des gens sont souvent terre-à-terre : savoir par l'intermédiaire de la médium si le fils ou le mari endormi a caché de l'argent ou avait une maîtresse,avoir des projets professionnels...La nourriture tient une grande part comme dans tout l'extrême-orient : plaisir du pique-nique au bord de l'eau, dîner dans un marché de nuit avec les petites tables tassées autour des stands, la lumière des néons, les conversations qui s'entrecroisent autour de vous, des bribes de karaoké. Ces fruits ou ces gâteaux qu'on échange tout au long du film "créent du lien" entre les personnages. Et du lien il est beaucoup question : ceux qui passent par la médium, celui qui naît de la douceur des soins donnés aux soldats (l'un d'eux bande dans son sommeil). L'héroïne du film, femme d'une cinquantaine d'années qu'une jambe difforme fait boiter tombe amoureuse d'un soldat et fera même l'amour avec lui de bien étrange façon. Mais le plus beau c'est la lenteur d'un récit qui prend son temps, la sérénité qui nous pénètre dans ces scènes nocturnes où la caméra s'attarde dans le dortoir des soldats où on n'entend que leur respiration, le bruit des ventilateurs et des étranges appareils qui guident leurs rêves et répandent dans la pièce une douce lumière. Le film est tout pénétré de cette douceur bouddhique, de cette sensualité calme même si l'auteur ménage aussi quelques intermèdes comiques (le ballet des pique-niqueurs) qui ponctuent son récit.

On peut comprendre que le spectateur se sente frustré : le mystère n'est pas éclairci, la portée symbolique et métaphysique que pourrait avoir le sommeil des soldats n'intéresse visiblement pas le réalisateur, ma nostalgie du Sud-est asiatique a sûrement joué un grand rôle dans le plaisir que j'ai eu à voir le film, on ne la partage pas forcément. Allez-y pourtant , ne serait-ce que pour jouir du contraste entre le rythme ample de ce film et les mouvements de caméra hystériques et désordonnés de beaucoup de films contemporains et surtout pour voir une des plus belles scènes d'amour du cinéma quand la jeune médium oint la jambe malade de la femme mûre et la lèche à petits coups de langue. C'est sublime et bouleversant.

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