Oléron : la gentrification d'une île
Ce qui n'était qu'esquissé depuis quelques années (nous avions pris l'habitude chaque fois que nous croisions un couple de gays trendies de murmurer : "les prix montent") devient une tendance affirmée. L'île d'Oléron a longtemps représenté la bonne humeur et le sans-gêne de vacances familiales dans un camping ou sur un lopin à l'intérieur des terres où on garait sa caravane, elle baignait aussi dans une tradition libertaire née en 36. Désormais elle se gentrifie.
Les expositions artistiques, par exemple, se multiplient et s'ouvrent des galeries où on ne voit pas seulement des "Couchers de soleil sur les bassins ostréicoles" ou "Roses trémières devant une maison de pêcheurs" (pour ce qu'il en reste de ceux-là...). On a même vu une expo d'art brut de bon niveau (ça, c'est tendance) dont nous sommes revenus avec une girafe qui ressemble à une chèvre, aux pattes en pieds de chaise et à la robe multicolore. Pour être dans la note nous l'avons installée au jardin. Au "Théâtre d'ardoise", ce lieu merveilleux, en plein air, au milieu des bassins à huîtres, se multiplient les programmes de jazz et de musique classique. Le club nautique de Saint-Trojan qui depuis des lustres organise chaque année une régate des vieux gréements développe ses activités et accueille à côté des colons très "divers" de la ville de Limoges une saine jeunesse de bonne extrace qui s'endurcit en en bavant par gros temps sur un dériveur. Le vélo se développe de façon exponentielle, on se croirait parfois sur la grande rivale, Ré. Ainsi pouvons nous voir de notre terrasse défiler des bataillons de jeunes filles en fleur, souvent blondes, vêtues d'un mini-short et d'un T-shirt déstructuré, pédalant en pianotant sur leur portable comme leurs congénères, mais les vêtements ne viennent pas de chez Kiabi et les corps sont plus élancés et les cuisses plus fuselées. Passent aussi leurs parents, shorts longs et vareuses, conversation à bas bruit qu'ils n'interrompent pas pour lancer un "bon appétit, messieurs-dames" à qui déjeune sur sa terrasse. Ils deviennent presque plus nombreux que les "mimiles" en pantacourt et sweat Adidas qui s'époumonnent après un Mattéo à queue de rat, déjà obèse, qui ne les écoute pas. une villa de famille d'avant 14 en assez mauvais état mais avec du charme et une belle vue a trouvé un acheteur et rouvrent quelques vieilles maisons que des héritiers avaient négligées jusqu'alors.
Certes ce n'est pas encore Ré et ses "people" très légèrement relevés par quelque intellos démodés. Ce n'est ni Yeu ni Noirmoutier, places fortes de la BBCNZ (pour mémoire : bonne bourgeoisie catholique non zombie) où "La Croix" et "Le Monde" concurrencent le Figarmuche, où cohabitent les colos cathos et les rejetons de bonnes familles parisiennes ou des grandes villes de l'Ouest, entre pêche aux maquereaux et messe du dimanche dans la petite église du bourg, mais l'évolution est nette. Comment l'expliquer ? Peut-être par le recherche de lieux meilleur marché (on sait compter dans ce milieu), Ré est devenue inabordable. peut-être aussi la nécessité pour un groupe social en extension malgré la crise de trouver de nouveaux endroits et on choisit alors les îles qui symbolisent la liberté, l'entre-soi...et l'Atlantique moins vulgaire que la Méditerranée ou les Maldives qu'on laisse au Tout-venant et aux parvenus. A moins que ce ne soit juste qu'un effet de mode qui fait qu'une île laborieuse se transforme sur le mode du XIème prolo devenu branchouille. A la "déprolétarisation" correspond la "démimilisation". Décidément nous n'avons pas fait un mauvais choix il y a quelques années...