De "France observateur" à "L'Obs" : grandeur et misère de l'intellectuel de gauche"
Je me souviens de "France observateur". C'était un hebdomadaire austère sur papier journal à envelopper le poisson comme tous ses confrères à l'époque. Que pouvait bien dire son nom ? Observait-il la France ou était-ce le regard lucide sur le monde de français qui l'analysaient? En tout cas cette analyse était de gauche : anticolonialisme, engagement contre la guerre d'Algérie et ses dérives, antigaullisme sauf en ce qui concernait la politique étrangère du Général. Dans le domaine de la culture le journal idolâtraient le nouveau roman, le théâtre de l'absurde et la Nouvelle vague. Puis au mitan des années 60 Perdriel vint et suivant l'exemple de Servan-Schreiber le transforma en newsmagazine à l'américaine, modèle "Time", et le rebaptisa "Le nouvel Observateur", ce qui ne manquait pas de sens mais était trop long, aussi devint-il bien vite dans la bouche de ses lecteurs "Le Nouvel Obs". Le progrès marchant à pas de géant et rien de ce qui est moderne n'étant étranger à ce prestigieux organe de la Gauche intellectuelle, une nouvelle apocope vient de le réduire à "L'Obs", une onomatopée qui semble nier le langage articulé et donc la pensée...Parallèlement s'est développé son site Internet. Si j'en juge d'après les infos que j'y ai relevées hier après-midi, je me demande si un intellectuel de gauche lecteur du grand ancêtre y trouverait sa provende et quelle idée il se ferait de l'évolution de la Gauche.
On y présente la couverture de la semaine : "L'honneur sali de l'armée française", enquête sur les accusations de viols d'enfants en Centrafrique. On est donc passé de l'analyse et du commentaire à ce journalisme d'investigation que certains qualifient de fouille-merde. Le sujet est un peu crapoteux comme il se doit : des enfants qui se prostituent pour acheter l'entrecôte pour leurs petits frères. Les conclusions sont hâtives : "honneur sali" pour la dérive de quelques individus. Serait-on revenu à la vision de l'armée qu'avait un intellectuel de gauche dans les années 60 : des paras tortionnaires et fascistes ? Pourtant avec la fin des guerres coloniales les choses avaient considérablement évolué : missions au service de l'ONU, tâches humanitaires, engagements droits-de-l'hommistes jusqu'à ce 11/01 ou policiers et soldats furent acclamés par la foule parisienne qui n'avait pas encore lu Todd...Mais il faut bien vendre du papier. Restons en Afrique : un article sur le putsch au Burundi. Le vieux lecteur de "France observateur" qui avait lu L'afrique noire est mal partie de rené Dumont vers 1960 doit se dire qu'elle n'est pas encore arrivée.
Mais l'essentiel n'est pas là pour les lecteurs de "L'Obs". Ce sont les sujets de société et encore plus leur petite personne qui semblent les intéresser. Un article, par exemple, souligne les difficultés qu'ont les couples homo à "faire famille" et à lapiner autant que les hétéro. Les anciens se rappellent alors avec nostalgie le "Nouvel observateur" des années 70 un tantinet libertaire qui vouait aux gémonies mariage, famille et papa-maman et qui, déjà un peu écolo, mettait en garde contre la surpopulation, danger majeur pour l'humanité. Mais le site reflète encore mieux son époque et son lectorat dans le nombre d'articles qui sacrifient à l'hédonisme et à un individualisme bien éloigné de l'engagement d'autrefois. On vous propose un "câlin" contre le stress, niaiserie new age et langage bébé pour des adultes incapables d'affronter la dure réalité et ne rêvant que de cocooning. Et si cela ne suffit pas, évadez-vous dans des îles paradisiaques dont on vous fait complaisamment la promo. Autrefois il ne fallait pas bronzer idiot en allant au festival de Tabarka, maintenant c'est cocotiers, sable, blanc, huttes "typiques" avec clim et meubles design philippino-indonésiens, sports nautiques et langoustes arrosées de sancerre bien frais, sans compter l'atelier-cuisine avec un chef vedette de la télé. Et pour brocher sur le tout on réenchante votre monde avec un conte de fée contemporain : une serveuse (ou peut-être une patronne) de restaurant à qui on a donné un pourboire de 100 000$. Apparemment on ne rêve pas seulement dans les chaumières mais aussi dans les lofts des bobos. Que reste-t-il de nos amours et de nos combats, se demande alors le vieux ronchon ? Pas grand chose et de "France observateur" ? Une syllabe qui ne dit plus rien.