Sur la route de Mandalay
A voir l'or qui rutile sur le toit des pagodes et les statues de Bouddha, les urnes à donations qui débordent de billets, bonzes, bonzesses et bonzillons qui vont quêter leur nourriture le matin, on pourrait se dire qu'il s'agit d'une religion exploiteuse qui fait cracher le bon peuple au bassinet pour entretenir des moines avides et paresseux. Mais, outre que ceux-ci ont une fonction sociale, le bouddhisme jouit auprès de tous d'un préjugé favorable : une religion athée sans dieu créateur ou punisseur, sans prosélytisme massacreur, invitant à une recherche personnelle de la sagesse et à la non-violence. Pour tout dire, le contraire de l'Islam, parangon du fanatisme.
Beaucoup de dictatures se caractérisent par la forte densité d'uniformes, armée et police, dans les rues (je me souviens de l'Algérie de Boumedienne). En Birmanie on ne voit que quelques flics pour régler la circulation et quasiment aucun militaire. Est-ce à dire que la terreur est si forte que la junte n'a même pas besoin de manifester physiquement sa présence ou que la police secrète est partout comme en RDA ? Pourtant, chez des particuliers ou dans des boutiques, on voit des portrait d'Aung San Suu Kyi et de son père et les permanences de la Ligue Nationale pour la Démocratie ont pignon sur rue. Pourquoi, après tout ne pas espérer ? Le "retour dans les casernes" semble amorcé et peut-être que cette fois-ci le résultat des élections sera accepté par une junte consciente qu'elle ne peut demeurer éternellement au pouvoir.
Les jeunes Birmanes sont-elles mieux pourvues que leurs soeurs des pays voisins ou est-ce le drapé très ajusté du longyi qui leur fait les fesses si émouvantes et la démarche si invitante ? Ajoutez une ombrelle gracieusement inclinée et vous avez peut-être les femmes les plus belles du Sud-est asiatique. Les garçons en paraissent d'autant plus laids et ce ne sont pas les crêtes gominées ou les cheveux péroxydés à l'imitation des djeunes de chez nous qui arrangent les choses.
En Birmanie centrale on est un peu frustré d'exotisme. Sur les marchés on trouve plus de fraises, de pommes ou de raisins que de mangues ou de papayes (question de saison aussi, bien sûr). De plus à cette période de l'année les rizières sont vides et on voit surtout des champs de légumes ou une savane arborée avec des acacias, des eucalyptus, des gommiers, quelques banyans tout de même. La jungle telle qu'on l'imagine est plus au sud, mais en définitive le plus exotique ce sont les immeubles de Rangoon rongés par l'humidité, noircis de mousses et de champignons. Très durassiens.
Les Asiatiques n'ont pas le culte de l'ancien et nous autres pauvres Occidentaux sommes parfois bien en peine de distinguer pagodes anciennes que nous sommes censés admirer et pagodes modernes. Toutes nous paraissent kitsch avec leurs dômes et leurs Bouddhas rutilants (même s'ils ne sont pas hilares et ventrus comme en Chine), l'éclat du verre sur les colonnes et celui des pierres précieuses, le carrelage. Nous trouvons mieux nos repères avec certains temples à moitié abandonnés, à Bagan notamment, où la brique la brique à nue et les voûtes très hautes évoquent l'art cistercien. Ou alors nous admirons ces temples en teck, en général du 19ème siècle, d'une sobriété nippone mais avec un très beau travail de sculpture sur bois (alentours de Mandalay).
La brume qui se déchire lentement au matin sur le lac Inle. Les immeubles à moitié abandonnés de Rangoon qui disent encore la gloire de Victoria, reine et impératrice. Le coucher de soleil sur la plaine de Bagan si on peut faire abstraction des clic-clacs.
"Et en 40 ans, qu'est-ce qui a changé en Birmanie ?". Les embouteillages à Rangoon, les vendeuses de soupe sur le trottoir qui consultent leur smartphone, les portrait d'Aung San Suu Kyi plus nombreux que n'étaient ceux de Ne Win.
Parlant d'ASSK, les Birmans francophones disent "la Dame", traduisant l'anglais "the Lady". Malheureusement si le mot anglais évoque noblesse et distinction, le mot français fait populo : "Voilà ma dame et mon gamin".
On se sent bien dans ce pays où la gentillesse est réelle et le sourire permanent. Partout des fleurs, à l'entrée des pagodes pour les offrir au Bouddha, mais aussi devant la plus humble cabane dans les villages. Très peu de chiens pelés ou galeux si nombreux dans le Tiers monde et les chats birmans, minces, souples et souvent très câlins, jouissent de toute la considération qui leur est due.