La fin du naturisme libre
Depuis des lustres je pratique le naturisme dans l'île d'Oléron. "Pratique le naturisme", voilà une expression bien pompeuse pour un acte sans implication particulière ni militantisme. Je l'ai fait tout naturellement, question de bon sens (ne pas se rhabiller tout de suite après s'être déshabillé), du plaisir d'avoir le corps entièrement libre et baigné de sensations agréables, de liberté et même d'esthétique : foin des fesses blanchâtres et des seins en mou de veau. Se baigner nu était un usage assez répandu sur certaines plages de l'île et du sud de la Charente-maritime et ma plage était, il y a 10 ou 15 ans, très fréquentée. Des familles allemandes perpétuant une vieille tradition de culte de la nature mais aussi de liberté (la pratique du naturisme fut parfois une façon de s'opposer à la dictature communiste sur les plages de la Baltique) côtoyaient de vieux militants au collier de barbe socialo-81 et leur compagne exposant un corps qui ne se défaisait pas complètement grâce à une vie saine et sportive, des adolescentes jouant dans les vagues (vautrées sur le sable maintenant, elles tapotent sur leur Iphone),des couples de trentenaires tatoués à la toison pubienne artistiquement rasée et même des "textiles" un peu voyeurs ou venus avec des amis. Mais où sont les neiges d'antan ? Sur la plage quasi déserte ne restent qu'une poignée de vieillards qui mourront à leur poste, quelques gays en couple ou non et deux ou trois femmes seules qui cherchent peut-être l'aventure mais qui repartiront seules le soir (les don juans de plages arborent leur maillot collant et le petit jésus en croix sur leur toison sont chez les "habillés".
Pourquoi cette désertion ? La Crise ne saurait être la bonne explication. La fréquentation a aussi baissé sur les autres plages mais pas dans de telles largeurs. Du reste les naturistes sont gens plus éduqués et plus fortunés que la moyenne. Il faut plutôt chercher la réponse dans des changements de comportement social. Postulons que la fréquentation est restée stable dans les camps de nudistes (j'en suis à peu près sûr, mais c'est à vérifier). Ce mot "camp", déjà, devrait faire fuir les gens épris d'une liberté qu'ils aliènent au groupe dans des sortes de GCU (les vieux instits me comprendront) à poil, où on n'irait même pas habillé faire ses achats à la supérette climatisée. Les naturistes semblent donc suivre une tendance à la ghettoïsation assez générale : quartiers gays, piscines réservées aux femmes, résidences protégées pour cadres ou retraités. Même dans les quartiers bobos dont ceux-ci vantent la "diversité" on est entre soi, l'Autre fit de la figuration (épicier arabe, musico noir, café à chicha...). il s'agit bien de vivre loin des classes dangereuses ou de ceux qui ne partagent pas vos options morales ou religieuses, baignant dans une unanimité qui chatouille votre ego et il y a chez beaucoup de naturistes cette impression d'être le sel de la terre, très au-dessus du graillon des "textiles". Autre raison : le grand retour des vertus traditionnelles comme en témoignent l'hystérie anti-pédophile ou la sacralisation du mariage par les gays qui veulent aussi des petits nenfants . On se rapproprie des valeurs comme la fidélité dans le couple (ô vertueux trentenaires !) aux dépens du partage qui fleurissait dans les années 70. Alors pourquoi pas la pudeur ? Pas celle des sentiments comme le montre assez Fb, mais celle du corps, la moins respectable. Nudité, corps et sexe sont refoulés sur Internet, dans le virtuel. Le réel c'est le maillot couvrant et bientôt nos plages ressembleront à celles du golfe.
Ah, puissiez-vous revenir naïades brunes qui jouiez dans les flots et vieillardes au sein flétri, gens des pays blonds et familles bien de chez nous, mères sportives au corps intact et jeunes gens qui vous cachiez parfois dans les dunes et même vous, voyeurs honteux !