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Causons derechef
4 mai 2014

Dieu, Compostelle, l'Espagne et moi.

photo_borne_chemin_saint_jacques_compostelle_276Comme  je m'apprête de nouveau à partir pour Compostelle, en empruntant cette fois la via de la Plata, de Séville à Santiago via Caceres et Salamanque (programme combien alléchant !), je tiens à rassurer mes amis qui se demandent si je ne vais pas finir par entrer dans les ordres. Mon seul guide est l'amour du vélo en solitaire et surtout de l' Espagne. Cela remonte à mes lectures d'enfant : le personnage du hidalgo pauvre et fier, le sens de l'honneur qu'on prêtait abondamment aux Espagnols, leur héroïsme pendant les guerres napoléoniennes me fascinaient. Moi qui n'étais guère sportif je m'intéressais un peu au tour de France (mon dieu, que c'est ringard !) et mes idoles étaient Manzaneque et Bahamontès, l'aigle de Tolède, vainqueur à ma grande joie en 1959 (à l'époque les équipes étaient nationales, les coureurs n'avaient pas vendu leur âme à des marchands de lessive ou des assureurs). Je l'entrevis justement à Tolède lors de mon premier voyage   en 1967. Merveilleux voyage : 3 jeunes étudiants, une vieille 2CV, du camping sauvage et la découverte d'un pays dont le décor ressemblait parfois à celui des romans picaresques (d'ailleurs nous avons visité Santillane) et que dominait sur la moindre crête le taureau Osborne aux attributs bien visibles qui montraient que le machisme l'emportait sur la pudibonderie franquiste. L' Espagne commençait juste à entrer dans la modernité et la dictature pesait encore lourdement. Par provocation juvénile je prétendais défendre le caudillo et comme nous avions vu sur un pont une plaque rappelant qu'il avait été détruit par las hordas rojas j'en fis une scie pendant tout le voyage. Notre itinéraire me paraît rétrospectivement assez étrange. Nous avons visité Madrid et l'Escurial, mais pas le Prado, Valladolid qui n'est guère pittoresque mais pas Barcelone, Valence dont je n'ai perçu le charme que bien plus tard mais pas Burgos qui est pour moi la plus belle et la plus espagnole des villes du pays. Nous nous comportions souvent en touristes naïfs : manger une paella au restaurant à Madrid, acheter un coupe-papier damasquiné à Tolède, et même - honte à moi - assister à une corrida, la première et la dernière de ma vie ! En 1970, j'ai traversé le pays en 4L avec un copain. Les moeurs semblaient avoir un peu évolué : à une fête de village la jeunesse dansait sur "Je t'aime, moi non plus" de Gainsbourg. Comme le but de notre voyage était l'Algérie nous ne nous sommes pas attardés mais je me souviens d'une visite de Grenade. 6 ans après j'ai retraversé le pays dans l'autre sens, remontant du Maroc avec une amie. Franco était mort depuis quelques mois et on percevait la movida même en dehors de Madrid. Comme il fallait bien faire les choses, je couchai pour la première fois dans un parador. Et il y eut beaucoup d'autres voyages. un été où, parti rejoindre une femme à Madrid, je passais mes journées à la cinémathèque comme nous ne pouvions nous voir que le soir, ratant ainsi une occasion d'explorer à fond une ville que je connais toujours mal et qui ne m'a jamais vraiment séduit. Un merveilleux voyage d'hiver au coeur d'une Castille encore plus austère et grandiose que d'habitude, j'y découvris Burgos. Un printemps en Andalousie, la Toussaint en Catalogne, Pâques à Valence, ville méconnue  à la cuisine délicieuse et pleine de charme, si on veut bien oublier ce qu'y a commis Bofill. Mes deux pèlerinages, par le chemin français et la route traditionnelle. Je suis allé en Espagne presqu'aussi souvent qu'en Italie et parfois la tentation me vient de comparer les deux pays mais celle-ci l'emporte quand-même toujours sur celle-là. Je la veux toujours una y grande mais je me suis fait ma petite Espagne à moi. Sans les Galiciens qui chuintent comme des Portuguais, sans les Andalous qui sont des Arabes, sans les Catalans qui veulent imposer leur patois occitan à tout le monde, et je ne parle même pas des Basques...Mon Espagne c'est celle du quart nord-ouest, Castille et Leon, Asturies et Cantabrie, Aragon, celle d'où est partie la Reconquista, la plus austère et la plus noble. Alors oui, j'ai fait la queue pour effleurer le manteau de Saint Jacques, j'ai obtenu ma compostella (en latin, s'il vous plaît) attestant que j'ai fait le chemin sans utiliser d'autre moyen de transport que mon vélo (le fidèle Creamy) mais ce n'était là que respect des rites et soumission aux usages, ce qui est bien le moins quand on sacrifie à une tradition antique. Comme tout pèlerin je peux le dire, mais dans un sens légèrement différent : l'essentiel n'est pas le but mais le voyage.

 

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