Eloge des collèges religieux
Lis en ce moment L'inquiète adolescence de Louis Chadourne, sorte de roman d'apprentissage paru en 1920 qui décrit les affres d'un adolescent pris entre son désir d'absolu, sa foi et sa sexualité. Bon, tout cela est un peu démodé et on ne lit plus guère cet écrivain ni son frère Marc, mais peu importe. Si son style trop bien léché peut parfois agacer, il éveille en moi la nostalgie d'un lieu et d'une époque que je n'ai pas connus, c'est dire si ma fascination est grande...L'histoire se passe dans un collège religieux au début du 20ème siècle. Un tel cadre et de tels personnages sont assez nombreux dans notre littérature ( dans l'immédiat je pense à Rebatet, Tournier et, bien sûr, Peyrefitte, mais il y en a beaucoup d'autres) et à chaque fois le charme joue sur moi qui ai été bouclé sept ans dans un lycée laïque dans les années 60, c'est-à-dire une bonne génération après celle des héros de ces romans. A cette époque déjà les deux types d'établissements se ressemblaient de plus en plus à cause de la loi Debré et de la laïcisation du personnel, plus grand chose ne semble maintenant les distinguer : mixité, profs râleurs, projet d'établissement creux, suivi des "décrocheurs" et club informatique... Les cathos ont même abandonné le noble nom de "collège" avec ses connotations religieuses et son origine latine (le latin est la langue de Dieu disait Bloy) pour celui de "lycée" héritage de la Révolution et évoquant la philosophie ennemie jurée de la religion. Comme tout était plus beau avant ! Les bâtiments avaient souvent un cachet ancien qu'offraient peu de lycées construits à la fin du XIXème siècle, un vaste parc les entourait. L'année commençait par la messe du Saint-Esprit, ce qui avait une autre gueule que :"Il va falloir en mettre un coup, c'est l'année du bac !". Suivait une retraite de trois jours, un peu d'introspection ne fait jamais de mal. Les Pères, à la fois professeurs, surveillants et confesseurs, étaient très proches de leurs ouailles pour le meilleur et le pire. On retrouve chez tous les romanciers qui les ont évoqués deux types principaux : ceux d'extrace populaire et souvent d'origine paysanne, sanguins et parfois brutaux qu'on cantonnait aux petites classes et les intellectuels ascétiques aux traits aristocratiques et au passé mystérieux dans les maisons lointaines de l'ordre. Ceux-là, maîtrisant mal leurs appétits, pouvaient devenir de ces curés un peu peloteurs qu'on n'appelait pas alors avec horreur "pédophiles" et dont on ne disait pas qu'il traumatisaient à vie les chères têtes blondes. Les autres étaient plus dangereux, fins psychologues et confesseurs retors qui exerçaient sur les esprits une forte pression morale. Par l'intermédiaire de leurs affidés, élèves pieux de la Congrégation, ils pouvaient espionner et contrôler les fortes têtes. Ce combat psychologique affinait l'intelligence des meilleurs élèves et développait leur vigilance et leur capacité de ruse qu'ils sauraient exercer dans leur vie adulte, ou parfois les menait à la révolte souvent violente contre la religion, ce qui les fortifiait aussi. Du reste ils étaient souvent de bons professeurs et avaient institué dans certaine écoles des sortes de sociétés littéraires dont on aurait honte à notre époque où on ne veut pas passer pour un "bouffon". On ne quittait le collège que trois fois l'an pour les vacances, aussi les élèves y étaient-ils attachés même si certains souffraient, privés d'affection. Chadourne explique la fréquence des "amitiés particulières" par un report de cette affection sur ses compagnons. Peut-être, elles étaient en effet très rares dans le lycée que nous quittions chaque week-end. De toute façon enfermer dans ce que Tournier appelait des "garçonneries" des centaines d'adolescents était tenter le Diable et les occasions de trousser les soubrettes ou les filles de fermes étaient trop rares pour les "petits messieurs" les plus délurés. On prétendait bien Le combattre par le sport, les jeux, la prière, mais on donnait en même temps la main à la sensualité dans la grande tradition catholique et plus spécifiquement jésuite. Pour certains offices le culte déployait tous ses fastes : tourbillons d'encens montant vers les voûtes se mêlant à l'odeur des cierges, Veni creator ou Te deum entonnés par tout le collège ou par un jeune élève à la voix pure...La pompe et la beauté du culte catholique, héritier des cérémonies païennes, ont été incontestablement une grande force qui a provoqué de nombreuses conversions et conservé des fidèles à la foi vacillante. Ah, si j'avais pu connaître tout cela ! Qui sait ? Peut-être les "moeurs de collégien" auraient-elles guidé ma vie et aurais-je sautillé dans la rue en réclamant le mariage gay pour me ranger enfin, ou peut-être aurais-je milité à l'Union des athées bouffant du curé tous les jours et une tête de veau le Vendredi saint ? Je suis venu trop tard dans un monde trop jeune.