Votation suisse et "Diagonale du vide"
Que n'ont pas entendu les malheureux Suisses après leur calamiteux vote de dimanche ! Qu'ils étaient antieuropéens et que d'ailleurs l'Union, comme un vulgaire Poutine, allait leur couper l'accès à son marché, qu'ainsi leur économie s'effondrerait et qu'ils n'auraient plus un taux de chômage insolent. Qu'ils sombraient dans le populisme le plus abject, celui de bouseux et de prolos qui - circonstance aggravante - parlent allemand, qu'ils dérivaient, dérapaient, se repliaient (air connu) et n'étaient même pas foutus de faire la différence entre des immigrés eduqués et les peigne-culs venus d'Afrique avec leur djellaba et leur Coran. Qu'ils s'accrochaient à un "modèle helvétique" qui fait rigoler hors de leurs frontières : coucou, gruyère et la blonde Heidi. Ah, elle était belle leur "démocratie directe" qui consiste à consulter le peuple sur n'importe quoi et le reste en tenant compte égal entre le paysan de Thurgovie et l'industriel de Zurich ! Si encore ils pouvaient rejouer le referendum comme l'a fait l'Irlande, mais non ! Maudit rigorisme protestant !
Pourtant un des arguments des partisans du OUI m'est allé droit au coeur. Ils se plaignaient que l'afflux d'immigrants ait augmenté le trafic routier et ferroviaire. Cela peut paraître secondaire mais ne l'est pas. C'était une façon de dire qu'ils étaient trop nombreux et en souffraient presque physiquement et que c'était pire que le travail "volé" ou les coutumes qui choquent. Ils rêvaient de la Suisse de jadis où tout était calme, lenteur, paix, sans foules ni bagnoles, à l'abri de la fureur du monde. Il reste quelques traces d'une telle atmosphère chez nous le long de la Diagonale du vide définie par les géographes et qui va, en gros, de la Meuse aux Landes, traversant la Bourgogne et le Massif central. On y trouve de petites villes où des commerces obsolètes meurent doucement, où il n'y a pas d'horribles rues piétonnes pour les foules du samedi, où à 10 heures du soir votre pas retentit dans les rues vides. Et aussi des paysages préservés, des montagnes à l'infini où on ne voit pas une habitation, des gorges désertes. Il y a moins de zones de chalandise, de quartiers HLM, de lotissements hideux qu'ailleurs et la campagne n'y est pas souillée par les panneaux publicitaires, les silos et les hangars (Quel paradoxe que l'Angleterre qui a inventé l'openfield ait beaucoup mieux préservé sa campagne que nous !).Tous ces gens qui naissaient ou affluaient il a fallu les nourrir et les loger et campagnes et villes se sont enlaidies. Et nous n'avons pas perdu que la beauté, le silence aussi entre musique d'ambiance qui vous vrille les oreilles et conversations hurlées, la lumière même puisque l'éclairage urbain trop vif éteint les étoiles. Le Suisse, ce parangon du démocrate, veut jouir du monde en aristocrate avec une certaine distance, un espace pour respirer, de la solitude à loisir ? Il veut pouvoir traire sa vache dans son pré sans qu'on le regarde sous le nez, iodler en toute liberté dans sa montagne sans crainte de gêner l'autre, aller son train sur ses routes. Lui qu'on présente comme avide, car on pense au banquier genevois ou aux gnômes de Zurich, sacrifie l'argent au bonheur simple de la vie champêtre en digne compatriote de Jean-Jacques. Il est égoïste, rétrograde, autant que vous voudrez, mais pas stupide comme on veut le faire accroire : il défend son pauvre bonheur.