Fragments d'un court voyage au sud de la Bretagne
Dans les marches de cette province (je me suis cantonné à la Loire-Atlantique), peu de traces de bretonitude à part les noms des villes en langue vernaculaire sur les panneaux à leur entrée, comme en Occitanie où ça fait toujours rire les vieux jacobins recuits. Pas non plus de croix celtiques ni d'inscriptions "anticolonialistes", à peine quelques drapeaux noirs et blancs. Mais la Bretagne est bien là avec l'odeur du goëmon, les criailleries des mouettes, les roses et bleus des couchers de soleil sur la mer émeraude, les voiles des plaisanciers et les clochers de granit au loin. Si la côte, par ici, est moins rocheuse et sauvage que dans le Finistère ou les Côtes d'Armor les marais salants, jamais plus beaux que sous un ciel gris, donnent au paysage une poésie mélancolique. Seule la Brière est décevante. Même du haut du clocher de Saint Lyphard on n'en aperçoit pas les canaux cachés par les roseaux et le paysage perd ainsi son caractère particulier. Les bourgs sont un mélange de lotissements pour ouvriers de Saint-Nazaire et de maisons rénovées à toits de chaume qui ne valent guère mieux. Si on en croit le témoignage de Gracq, il y a 50 ans le pays était encore sauvage et on y caillassait l'automobiliste, on regretterait presque cette époque.
Dans un carrefour perdu du marais salant, le bar-restaurant "P'tite casquette" dont l'enseigne représente un patron pêcheur à l'oeil rigolard sous son couvre-chef. On imagine que celui-ci a un jour abandonné son premier métier pour la limonade en gardant sa casquette de mataf qui lui valut son sobriquet de la part de ses clients paludiers. A moins que lui-même ne les ait appelé ainsi, comme on dit familièrement "p'tite tête". En tout cas cet humour très "peuple" fait contraste avec la clientèle touristique de cette région : la bonne bourgeoisie catho avec de nombreux enfants à qui elle a appris le respect de leurs voisins au restaurant et qu'elle ne gave pas de glaces.
A Batz-sur-mer une association de défense du patrimoine organise des visites guidées de l'église Saint-Guénolé. Nous sommes confiés à une jeune fille qui ressemble à Isild Le Besco. Elle est chaussée de ballerines et vêtue d'une robe grise au sage décolleté mais moulant à merveille un corps magnifique. Tous, nous sommes sous le charme de ses mimiques, de sa gestuelle, de ses sourires, de sa voix et de sa langue où il n'y a aucune trace de l'horrible parlure des "quartiers" qui tend à s'universaliser. On l'imagine très bien avoir marché avec "la Manif pour tous" et on se dit qu' on suivrait tant de grâce et de beauté jusqu'au bout du Monde.
Bretagne catholique. La Madeleine en Brière est un haut-lieu de pélerinage monfortain. Le site rappelle curieusement les USA par son kitsch religieux très disneyien. Un calvaire monumental le domine où les épisodes du Chemin de croix sont représentées par des statues grandeur nature qui semblent faites de saindoux. A côté une pseudo-forteresse avec créneaux en béton qui abrite une grande salle de réunion avec des rangée de chaises d'écoliers et qui est décorée de fresques dans un style sulpicien revu par les Mormons. Enfin une chapelle moderne sur le plan de la "Maison de la Vierge" à Nazareth. D'immenses parkings témoignent de la vitalité des pélerinages et autres pardons dans la région.
Guérande, malgré la foule (mais celle-ci ne quitte guère la rue principale à boutiques et à crêperies), n'a rien perdu de son charme. Dans les petites rues des hôtels particuliers se cachent derrière leur jardin et leur haut portail et on s'attend presque à en voir sortir des personnages de Béatrix. Ses remparts intacts s'élèvent au milieu d'une vastitude plate, ce qui lui donne un peu de la poésie de Brouage, port déserté par la mer.
Ville la plus méridionale de Bretagne, Clisson, vue sous le soleil, semble presque appartenir à cette Toscane dont s'inspirèrent un mécène et son architecte qui y firent construire au début du 19ème siècle une villa italienne avec fabriques, statues, jardins qui s'étagent sur la vallée de la Sèvre. Stimulés par cet exemple les architectes de la région multiplièrent les bâtiments dans le goût italien et la ville a pris un aspect un peu exotique que tempère sa puissante forteresse médiévale.