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Causons derechef
2 mai 2013

"Une jeunesse amoureuse" de François Caillat et le cinéma autobiographique

Le film de Caillat s'inscrit donc dans un genre dont le premier exemple que je me rappelle était Lettres d'amour en Somalie de Frédéric Mitterrand et qu'ont illustré des cinéastes souvent un peu marginaux : Dominique Cabrera, Alain Cavalier, Raymond Depardon, Romain Goupil (et même très marginaux : Joseph Morder...). Comme les livres ces films peuvent être soit un journal soit, comme ici, des mémoires, ce qui est beaucoup plus difficile à faire : on peut imaginer un cinéaste filmant tout ce qu'il fait ou se faisant filmer, mais comment fimer des souvenirs ? En se servant d'un matériau constitué de photos, éventuellement de films familiaux (dans Stories we tell de Sarah Polley ils sont même pastichés), des lettres (le narrateur en a reçu beaucoup de ses amantes, l'époque et leur passion voulait ça) et le filmage des lieux des années après. Mais l'élément essentiel est évidemment la voix off qui raccroche ce type de film à la littérature. Dans celui de Caillat le texte est de haute tenue comme il convient à un Normalien agrégé de philo et c'est d'abord à travers elle que passe l'émotion, sentiment d'autant plus fort qu'il n'y est question que d'amour ou presque. Il s'agit donc de la vie amoureuse d'un homme, qu'on prend au sortir de l'adolescence, entre 1969 et 1984, c'est-à-dire, en débordant un peu, pendant les années 70 époque bénie de liberté sexuelle et de liberté tout court qu'on a peine à imaginer liés que nous sommes par le principe de précaution, la correction politique et autres fariboles. De cette liberté Caillat profite pleinement, mais il connait aussi des amours passionnées, cinq pour être précis (qu'elle veuille bien me pardonner si j'en oublie une). Il semble n'avoir vécu que pour cela, négligeant sa carrière et ne militant qu'à peine. Ce fut vraiment vitam impendere amori (pour ceux qui parleraient aussi mal latin que notre nouveau pape : vouer sa vie à l'amour). L'époque est évoquée en pointillé : le voyage aux USA avec 3 copains d'une frontière et d'un océan à l'autre à l'époque des hippies et de la contestation de la guerre du Vietnam (mon dieu, que de choses je n'aurai pas faites...), l'agitation politique en France, les lieux de fête comme le centre culturel américain du boulevard Raspail (toutes les histoires se déroulent à Paris à qui le film rend aussi hommage). Mais rien de la reconstitution d'une époque comme dans Mourir à 30 ans (qui n'est d'ailleurs pas exactement une autobiographie). L'émotion passe aussi beaucoup par les lieux puisque le cinéaste filme les immeubles où il a habité avec telle ou telle de ses femmes, thème classique de la poésie élégiaque où l'amant cherche à retrouver celle qu'il a perdue là où ils ont été heureux. Portes d'immeubles, fenêtres recréent tout un passé lié successivement à des quartiers de Paris différents mais où on peut revenir aussi avec une autre femme, ce qui teinte le bonheur de mélancolie. Ces lieux sont aussi filmés aujourd'hui avec peut-être un peu de nostalgie pour ce qu'ils ont été et de dégoût pour ce qu'ils sont devenus avec leur vulgarité boutiquière (mais là je projette un peu, je crois). Ce parcours va du XVIème au Marais, de l'amour adolescent romantique à des passions plus charnelles ou plus compliquées, se greffent dessus des voyages. Il semble s'arrêter un jour : le narrateur a 33 ans, nous sommes en 1984. Après tout le film aurait pu rejoindre le moment présent. En fait, d'un point de vue dramatique, cette fin est justifiée. On peut aussi penser que le narrateur dit adieu à sa jeunesse et à la décennie prodigieuse, qu'il se range. Dernier retour vers tous les lieux visités puis c'est fini.

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