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Causons derechef
18 avril 2013

A propos de "Madame Solario" : cosmopolitisme, "diversité" et jet set

Je suis en train de lire Madame Solario,  roman dont l'auteur - une Américaine - resta longtemps mystérieux et qui évoque une société privilégiée et cosmopolite d'avant 14 au bord du lac de Côme. Il s'en dégage un charme puissant comme d'autres romans qui partagent son décor, ses personnages et la même nostalgie (la plupart ont été écrits dans les années 20 ou 30, celui-ci a été publié en 56). Le cadre est toujours le même : lacs italiens, Riviera ou montagne suisse, palaces, voire sanas comme dans La montagne magique. S'y côtoient des nobles hongrois, de riches Anglais, des comtes russes et des Grands d'Espagne, des financiers de haut vol et des attachés militaires plus ou moins espions. Quelques touches exotiques : planteurs brésiliens ou Mexicains cousus d'or. Les femmes sont toutes belles, suprêmement élégantes, mystérieuses parfois. On joue, on excursionne, on fait de la musique, on lit (il y a des "salons de lecture", vous imaginez...), bals et cotillons se succèdent, on converse dans toutes les langues mais le français prédomine. La grande affaire de tous est l'amour. Le simple flirt mais aussi la passion pimentée parfois de perversions très fin-de-siècle : inceste, saphisme, homosexualité refoulée. Le roman de Gladys Huntington n'en manque pas et l'art de l'écrivain se marque notamment dans la façon dont elles se révèleront peu à peu. On y retrouve aussi un jeune Anglais naïf qui en deux mois couronnés par un dîner où se déchaînera la violence et le vice des personnages, fera son éducation sentimentale (tous ces romans ou presque sont en effet des romans d'éducation et celui-ci a parfois des accents flaubertiens). Ce monde futile, brillant, oisif mais aussi lucide aurait pu ne donner que des "romans mondains" vides; comme La Recherche Madame Solario  prouve le contraire.

Ainsi l'Etranger a été ce cosmopolite cultivé et raffiné mais ce cosmopolitisme s'est dégradé en "diversité". Le riche oisif est devenu un immigré pauvre, les barres d'immeubles puant la pisse ont remplacé les palaces. Cent races s'y mêlent sans culture ni même langue commune, le français de l'aristocratie européenne est devenu une sorte de bichelamar lardé de mots arabes ou mandingues à peine articulés. Pour ne pas se faire violer dans les caves les femmes portent des joggings informes. Et le temps passe interminablement à jouer au foot en bas de l'immeuble, à tenir les murs et à gerriller contre les flics. Quelle littérature peut naître de cela ? Une poésie de mirliton, le rap, et quelques romans naturalistes à l'engagement naïf. Mais comparons ce qui est comparable. Les riches ? Soit. De cosmopolites ils sont devenus apatrides, sautant d'un pays à l'autre, jet set sans racines. Plus de palaces, ils se font construire des villas aux îles Caïmans, aménagent un riad à Marrakech. Vautrés au bord de leur piscine ils sirotent des mojitos ou se projettent des films de merde dans leur salle privée, ils tripotent leur tablette pour avoir les cours de la Bourse. Ils parlent fric, cul, pipoles, partouzent avec des bimbos ou des petites frappes. Plus de livres, plus de musique, plus de conquête amoureuse ni même de perversions : tout s'est dissous dans la permissivité générale. Ce monde décervelé sans aucune richesse intérieure n'a pu donner que les best-sellers modèle années 80 : sang, sexe, dollars et trafics. Décidément les cosmopolites élégants et cultivés nous manquent.

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