L'élection du pape François ou l'inquiétante étrangeté du catholicisme
L'inquiétude ne vient pas ici de la rigidité doctrinale du cardinal argentin, de sa ferme opposition au mariage des curés ou des homos ou à l'avortement, qui ne comblera pas le fossé entre l'Eglise et la société. Du reste ces questions de morale ne sont pas mon affaire et l'autre aspect de la personnalité du pape, son amour des pauvres, me paraît en quelque sorte surjoué. Non, cette élection a été l'occasion de constater combien s'est creusé un autre gouffre : celui de l'ignorance d'une religion qui est un des fondements de notre civilisation. On pourrait imputer cette méconnaissance aux seuls journalistes, se dire que si la presse écrite peut encore recruter des spécialistes de religion, radios et télés qui mettent la barre plus bas n'en prennent pas la peine, mais cela va plus loin. Ces journalistes supposent chez leurs auditeurs une ignorance égale à la leur et ils ont raison. Ainsi ont-ils benoîtement traduit mot à mot le pater récité par le pape lors de sa première apparition comme si les cathos ne le connaissaient pas et alors que ça ne pouvait intéresser les non-croyants. L'un d'entre eux a parlé d'un "chant appelé Te deum", ce chant qui fut celui de toutes nos victoires depuis des siècles a-t-il donc été oublié ? Tous sont fascinés par ce qui est devenu un mystère, le lexique "technique" : camerlingue, protodiacre, petrinien, mais aussi franciscain, jésuite...et plus spécialement par les expressions latines qu'ils répètent parfois avec des solécismes. Se gargarisent-ils de Urbi et orbi ! Ils traduisent d'ailleurs cette formule de façon imprécise sans faire sentir qu'il s'agit de La Ville, de Rome dont le pape est évêque, ce qui en a étonné plus d'un. On a vraiment l'impression qu'il s'agit pour eux de la religion des Boro-boros : on essaie de redire les formules du sorcier, on décrit son masque, la peau de bête dont il se vêt et ses amulettes. Je sais bien que toute société avec son rituel, ses cérémonies, ses croyances peut devenir un objet d'étude ethnologique même si elle est proche, mais on a là l'impression qu'elle est enfouie dans un passé lointain et que la laïcisation du monde chrétien s'est totalement accomplie, du moins dans la "vieille Europe". C'est fort dommage. Puisque les intellectuels progressistes nous rebattent les oreilles avec le "faire société" ils devraient s'aviser que le catholicisme (comme le protestantisme) faisait partie du socle commun et était un ciment qui nous tenait ensemble et nous protégeait. Toutefois si notre civilisation y perd, la religion en tant que lien à Dieu, paradoxalement, y gagnera. Restera un petit nombre de croyants à la foi bien trempée, sans compromissions avec la société et uniquement préoccupés de leur salut. Les voltairiens, s'ils applaudissent à la fin de l'institution, seront peinés du triomphe de la superstition...