DSK entre en littérature par la porte étroite
Je ne suis pas bien sûr de lire Belle et Bête. On trouvera ce roman en piles près des caisses, rayon pipole, à côté de la biographie d'un chanteur sur le retour ou de la vie édifiante d'un footballeur des bas quartiers d'une ville africaine aux boîtes des Champs-Elysées, le genre de livre qu'on va acheter chez Leclerc et encore en mettant des lunettes noires. DSK devenu personnage de roman est-il vraiment plus intéressant ? on peut en douter. A moins que l'un quelconque de mes critiques favoris ne proclame que ce livre est un chef-d'oeuvre. Vous voyez le genre : "un diamant noir au firmament de la littérature", "l'érotisme porté à son point d'incandescence", "le sublime dans l'abjection". Mais je ne crois pas. L'accumulation d'épithètes, par exemple, ne fait pas un style ("relation poétique, dense,cruelle, belle, puissante") et son personnage "mi-homme mi-cochon" n'a pas l'ambiguité qui fait la bonne littérature. Moyennant quoi cette dame que je ne connaissais que par quelques tribunes provocatrices pour défendre la prostitution ne manque pas de qualités. Elle est maligne, voire roublarde quand elle fait semblant de tenter d'expliquer son histoire d'amour et son rapport avec son livre. Elle reste provocatrice quand cette amie des animaux prétend faire l'éloge du cochon (animal injustement décrié, sur cela nous nous rencontrons) et qu'elle affirme que les porcs sont des porcs et que la société est injuste en les enfermant. Surtout elle a une sacrée dose d'humour. Par exemple son jeu avec les métaphores animales : DSK est à la fois porc, bouc émissaire et caniche. Cet humour se teinte de noir et prend des accents swiftiens quand elle se dit qu'il serait plus utile et profitable à la Société si on le transformait en jambon (même pas besoin de l'engraisser...). Il tourne à l'hénaurme quand elle imagine qu'il aurait transformé l'Elysée en boîte échangiste. On se prend à rêver : Dodo-la-saumure en grand chambellan et maître des plaisirs, Ségolène lors de la garden party du 14 juillet promenant ses chabichous vêtue d'une seule quichenotte, un haras de gardes républicains pour dames et messieurs (si le maître des lieux n'a pas ces goûts, il est de gauche - on ne rit pas - et partisan de la luxure pour tous). D'autre part l'importance qu'elle accorde au goût et à l'exercice du pouvoir chez ses personnages emporte l'adhésion. Le "Il n'y a aucun mal à se faire sucer par une femme de ménage" d'Anne Sinclair va devenir aussi célèbre que le "troussage de domestique" de J-F Kahn. tout est dû aux maîtres du monde, un des bénéfices pas du tout secondaire de leur domination c'est qu'ils n'ont même plus à payer, moins l'hommage est virtuel, plus il leur sied. Evidemment si le héros l'exerce sur les femmes et sur la valetaille qui lui procure ses plaisirs, il est lui-même tenu en laisse par sa richissime épouse. Et cela explique son incompréhensible soutien à un homme qui la bafouait, pensait-on : dans cette caste on est solidaire contre les gueux qui vous menacent. Ces politiques de haut vol, ces vedettes des médias ne sont pas vraiment une aristocratie, après tout la possession d'un riad à Marrakech n'est pas vraiment un signe de distinction et leur vulgarité ne s'étale pas seulement dans les goûts de DSK en matière de femmes, mais des aristos ils ont celui des privilèges. Bon ou mauvais roman donc, je ne sais, mais il y a matière à en faire un second avec les réactions indignées ou hypocrites des gens de leur monde sans compter que "l'enquête sur [ce] terrain" pour reprendre la délicate expression de l'auteure, ouvre un boulevard aux journalistes jeunes et jolies.