Les gilets jaunes : ce n'est qu'un début ?
Le 17/11 dont on nous promettait monts et merveilles et dont on ne savait trop quoi attendre est enfin passé. On ne le sait toujours pas et la journée n'a pas été si merveilleuse que ça. Essayons d'abord de tirer un bilan : 280 000 manifestants sur la France entière. Querelles de chiffres habituelles. Deux remarques toutefois : le risque d'erreur est moindre quand il s'agit de compter des petits groupes égaillés dans le pays tout entier et non une énorme manif à Paris; d'autre part je ne vois pas quel intérêt aurait le gouvernement à provoquer et humilier des gens en colère, qui de toute façon sont nombreux comme le sont leurs sujets de mécontentement, et ce à la veille d'une séquence électorale. C'est égal, les appels aux rassemblements sur les réseaux, l'excitation des militants laissaient prévoir ce fameux tsunami que tout le monde attend de Mélenchon au RN et qui n'arrive jamais. Un petit malin a pris sa calculette et nous a livré avec humour son verdict sur Facebook : 99,6% des Français n'ont pas participé au mouvement...
Quelles sont les raisons de ce demi-succès ? (n'insultons pas l'avenir). En premier lieu, ce que tout le monde a dit, le manque de leaders et d'organisation : réunir des gens dans d'improbables endroits avec la vague consigne d'être là et sans qu'ils sachent vraiment ce qu'ils feraient après était une gageure. La revendication unique au départ pouvait sembler un peu mince même si, en effet, la cherté du carburant pourrit le quotidien de bien des Français, mais on a vu que très vite d'autres réclamation sont apparues. Comme il fallait s'y attendre la ritournelle "Faire le jeu du RN" a été entonnée par les macronistes et les médias mainstream bien que Marine Le Pen ait eu l'habilité d'être très discrète. Cela a pu en dissuader certains malgré la compréhension affichée de gens de gauche pour le mouvement. Je n'ai eu vent que d'un seul dérapage : le slogan "Marine présidente, les migrants à la mer" scandé à Tarbes. Les mêmes médias ont aussi complaisamment reproduit le texte de certaines banderoles quelques jours avant la manif : "Baise ta vieille, pas les vieux" ou "Macron va voir ta guenon, arrête de nous pomper". La brutalité obscène de ces phrases qui, de plus, visaient une personne en dehors du coup, en a sûrement arrêté plus d'un. Pourtant, dans les manifs traditionnelles, les slogans peuvent aussi être grossiers, signe de colère et de volonté de faire mal. Autre tradition, depuis Marie-Antoinette, celle des femmes de souverains maléfiques que le peuple rend responsables de tous ses maux. Je crois surtout qu'ici, les slogans visant Bibi montrent que le "petit peuple" condamne certaines moeurs des élites qu'on essaie de lui imposer. Pour lui il n'est pas normal d'épouser une femme qui pourrait être votre mère - stérilité et parfum d'inceste - ou de se marier avec une personne de son sexe - un papa, une maman, des enfants - ou d'accueillir dans un palais symbole de la République un groupe d'invertis chantant des obscénités. Leur morale n'est pas la nôtre doivent-ils se dire de la classe dominante, les heureux habitants des métropoles mondialisées qui trouvent que décidément ces "périphériques" sont incorrigibles et puent.
Jouons maintenant les Madame Soleil : que va-t-il sortir de tout ça ? Le gouvernement demeure droit dans ses bottes et pourrait-il en être autrement ? La reculade de Juppé en 1995 le lui interdit. Ce ne sont pas les mesurettes à peu près illisibles promises par Edouard Philippe qui vont calmer la colère des protestataires, d'autant qu'elles ne satisfont pas les autres revendications qui sont apparues. Le mouvement va-t-il donc durer ? Je ne le crois pas, il ne s'en est dégagé aucun leader et, révérence gardée pour ses initiateurs, ils n'en ont pas l'étoffe. Peuvent-ils se réunir sans coordination au hasard des dates et des lieux ? Impensable. Sera-t-il récupéré ? oui, en partie. Certains iront vers le RN, d'autres chez Mélenchon et ceux qui voteront encore pourraient bien réserver une surprise à Macron l'an prochain. Un qui va rigoler au parlement européen, c'est Orban, sa bête noire, quand il verra débouler un fort contingent de députés RN. Ceux qui voteront, dis-je, car je crois que la majorité adoptera ce marronnage qu'évoque Guilluy. Ils se replieront sur eux-mêmes, remâcheront dans leur coin leur rancoeur et leur colère, bien conscients qu'ils ne sont que des pas-grand-choses qui comptent maintenant pour du beurre, une plèbe méprisée qui,retirée sur son Aventin, ne menace plus la Cité. Celle-ci, si leurs bras venaient à manquer, saurait très bien les remplacer. De temps en temps il y aura d'autres émeutes, mais de révolution, point. Dieu merci, je ne suis pas Madame Soleil...