Stains : La discipline faisant la force principale des lycées...
Ce qu'il y a de bien avec les profs, c'est qu'ils sont toujours tels qu'en eux-mêmes. Il sont un peu comme une vieille pipe qu'on aimait bien et qu'on retrouve au fond d'un tiroir ou comme le goût mêlé d'une madeleine et d'une infusion de tilleul qui vous rappelle votre vieille tante provinciale, les souvenirs remontent...C'était au milieu des années 60, la guerre d'Algérie venait de se terminer et la possession de la "bombinette" impliquait pour le grand Charles une armée moins nombreuse et plus "technique". Ainsi démobilisa-t-on des officiers et en fit-on des profs, pour peu qu'ils aient une licence. Dire qu'ils furent mal accueillis par leurs nouveaux collègues est un euphémisme. Certains voyaient en eux carrément d'ex-tortionnaires et d'indécrottables fascistes qui allaient pourrir de jeunes consciences, les plus indulgents, avec un haussement d'épaules, mettaient en doute leur savoir et leur pédagogie. Les réflexions se faisaient souvent à portée de l'oreille des élèves afin de saper le prestige de leurs nouveaux collègues qui n'en avaient déjà pas beaucoup après une nouvelle guerre perdue. Pourtant, vaille que vaille, ces nouveaux firent leur devoir et finirent par s'imposer, pour autant que je sache avant d'atteindre une retraite qu'ils avaient doublement méritée.
Hélas, on n'en a pas fini avec la Bête immonde ! Ne voilà-t-il pas que l'éducation nationale nomme à la rentrée de Toussaint au lycée Maurice-Utrillo de Stains un chef d'escadron de la gendarmerie en détachement pour occuper un poste de proviseur-adjoint (je précise pour les vieux croûtons que ce vocable désigne le censeur de leur jeunesse), chargé notamment de la sécurité. Maurice-Utrillo, vous savez, devant lequel s'affrontent en une guerre pichrocoline les lascars de Stains et ceux de Pierrefitte, brandissant machettes et marteaux. Face à une telle provocation, la réplique n'a pas tardé, l'assemblée des professeurs (on sait, quand on a été dans ce bizness, combien elle est représentative...) a décrété une grève à la rentrée des vacances contre "l'infiltration d'une force armée dans le lycée". On voit la manoeuvre : ce gendarme qui est à lui tout seul une armée - tremblez, jeunes gens - est introduit subrepticement, avec la bénédiction du ministre, dans un sanctuaire inviolable (tactique renouvelée des Grecs) pour s'adonner à la contre-guérilla et se livrer à de basses besognes que nous allons préciser. La réaction sera à la hauteur du forfait : les profs entrent en résistance et ne reconnaîtront pas l'autorité du nouveau PA "au risque d'être blâmés", ah mais, dites donc! D'ailleurs, disent-ils,les métiers de l'éducation ne s'improvisent pas et d'autre part un seul homme ne saurait arrêter physiquement la violence (comme si c'était le but !) et, last but not least, "Qu'adviendra-t-il de nos élèves en situation irrégulière ?" Ah, parce que l'administration de nos écoles et son personnel violeraient la loi républicaine ? Je n'ose y croire...Essayons de garder la tête froide et examinons ces critiques.
Précisons d'abord que cette règle, qui permet à un fonctionnaire d'être détaché dans une autre administration en vue d'une éventuelle reconversion ou par simple curiosité, existe depuis un certain nombre d'années,et elle est excellente puisqu'elle ouvre des perspectives et combat l'étroitesse de vue. "Les métiers de l'éducation ne s'improvisent pas" proclament les syndicats. Certes, on ne devient pas du jour au lendemain prof de philo ou de physique, mais on ne demande pas aux administratifs des connaissances (où est le temps, me disait un jour un vieil érudit, où tous les proviseurs étaient agrégés de grammaire?). Du reste c'est souvent parce qu'ils en avaient peu ou ne savaient pas les transmettre qu'ils sont devenus chefs d'établissement. Il leur suffit d'appliquer les consignes du ministère et du rectorat, d'avoir un minimum de sens de l'organisation et, si possible, des relations humaines, et vogue la galère! Notre adjoint apprendra le métier auprès de son patron, ce n'est pas si sorcier. Paradoxalement c'est probablement dans son domaine d'origine qu'il sera le moins utile. Il est censé jouer aussi les interfaces (je parle couramment l'éduc. nat.) avec la justice et la police, rôle que des civils remplissent très bien déjà dans des lycées à problèmes. Il est évident qu'il ne va pas défourailler et menacer les lascars qui tenteraient une ingérence ou vendraient leur dose aux angéliques élèves de seconde. Le problème de l'insécurité est le plus souvent à l'extérieur de l'établissement et devrait pouvoir se régler en contrôlant sérieusement l'entrée des élèves et en obtenant rapidement une intervention des forces de l'ordre (en général ça marche). Quand le ver est dans le fruit, c'est plus compliqué. Les bons vieux surgés de notre jeunesse qui distribuaient largement colles et engueulades, sont devenus des "conseillers principaux d'éducation" (mazette!), qui prêtent une oreille complaisante à tous les petits ou gros problèmes des ados, sortes de confesseurs laïques qui admonestent mais sanctionnent très peu : leur formation veut ça. J'en ai connu de très bien et ça marche quand les élèves ne sont pas trop durs, autrement je crois qu'il faudrait des hommes ou des femmes moins empathiques et plus sévères...Quant aux fameux "conseils de discipline", c'est l'Arlésienne, et c'est tout juste si j'en ai vu une demi-douzaine se tenir dans toute ma carrière. En fait, c'est peut-être bien CPE qu'on aurait dû le nommer notre ami gendarme, mais je vous fiche mon billet que "l'assemblée des professeurs" aurait imaginé des interrogatoires poussés avec élèves attachés au radiateur. On lui souhaite bon courage, il va falloir en avoir pour affronter la horde déchaînée des profs...