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Causons derechef
29 septembre 2016

La mort à la campagne : petite leçon d'anthropologie à l'usage des bobos qui n'y mettent jamais les pieds

On revient une dernière fois au village pour y enterrer le dernier mort et y fermer la maison qui sera vendue. Ce sont d'abord les souvenirs qui affluent. Le corbillard municipal montait la côte menant de l'église au cimetière, flanqué de quatre "porteurs" tenant les cordons du poêle, suivi du curé que précédait un enfant de choeur en surplis brandissant une grande croix d'argent; derrière, les hommes en costume sombre et les femmes un fichu sur la tête. Entre deux enterrements on garait le char funèbre à côté des bains-douches sous la cantine des écoles, ainsi la jeunesse était-elle tôt consciente de la fragilité de la vie humaine. Le croque-mort qui tenait les rênes, un paysan du lieu possédant des chevaux, était épileptique et a pimenté certains enterrements d'une crise que les circonstances rendaient encore plus impressionnante. Auparavant on avait lavé et habillé le cadavre, fonction réservée à quelques femmes assez  vieilles qui aidaient aussi aux accouchements, puis on l'avait exposé dans une chambre dont on tenait la fenêtre ouverte en toute saison car on l'y garderait au moins deux jours. Le glas avait sonné mais tous les décès n'étaient pas attendus, alors une "messagère de mort" dont je pense qu'elle était employée municipale, passait dans le bourg et dans tous les écarts pour annoncer la disparition et donner l'heure de la messe. Les visites pouvaient commencer, obligations sociales auxquelles il aurait été scandaleux de se soustraire, même si parfois seule la femme représentait le foyer. Pendant ce temps un des menuisiers du village fabriquait le cercueil et, le jour venu, quatre gaillards s'en saisissaient et le mettaient dans le corbillard qui prenait le chemin de l'église où le prêtre disait la messe des morts, et même en latin, s'il vous plaît, de profundis et dies irae, jusqu'au concile moderniste...On n'était pas loin des "Funérailles d'antan" de Brassens et de "L'enterrement à Ornans".

Bien des choses ont changé. Dans notre société hédoniste tout l'aspect matériel des funérailles est pris en charge par les Pompes funèbres et pour peu que le défunt ait été prévoyant il ne vous en coûtera même pas un sou...Cercueils à tous les prix (mais attention au regard des voisins !), capitonnage pastel, fourgon funéraire qui n'est plus noir mais de couleur claire. Bientôt on le prendra pour une camionnette de livraison, les tags en moins. Large choix de ces plaques de marbre gravées qui se multiplient maintenant sur les tombes, célébrant les hobbies du mort représenté en pêcheur ou en chasseur, ou rappelant sa profession ou sa passion (une moto, par exemple, pour le jeune qui s'est tué en rentrant d'un bal...). Les fleurs, on se croirait déshonoré de ne pas préciser "que des fleurs naturelles", sont encore de la compétence du fleuriste. Le corps, après avoir été "préparé" est maintenant exposé dans la "chambre funéraire" selon des horaires de bureau. Le soir on le met au frigo avec les gerbes déjà livrées. Les proches ne sont plus tenus à une veille constante mais assurent des permanences pour accueillir les visiteurs (double contrôle social : qui vient, et implication des proches dans la mort). En effet le rite des visites perdure même si les gens sont moins nombreux à venir. Toutes se déroulent à peu près de la même façon : courte prière et aspersion d'eau bénite, puis on se tourne vers les proches qu'on interroge sur la maladie et les circonstances de la mort avant de célébrer ses qualités et de prononcer des formules bien senties comme "Il/elle est mieux là où elle est". On arrive enfin à l'essentiel : échanger des nouvelles de la famille qui est le plus souvent dispersée et dont on n'a pas vu la plupart des membres depuis longtemps, il n'y a quasiment plus que les vieux qui soient restés au village. Telle vieille parente, récemment veuve et s'ennuyant chez elle, va rester plus d'une heure à démêler des cousinages qu'elle connaît sur le bout du doigt et que les générations suivantes ont oubliés, ce qui ne manque pas de vexer ceux qu'on n'a pas reconnus. La chambre funéraire semble devenue un des derniers lieux de sociabilité dans les campagne, presque mieux que le "club des anciens" ou les veillées qui appartiennent maintenant à l'histoire. Quant à la messe elle n'a plus cet aspect froid, solennel et un peu effrayant qu'elle avait autrefois, de même qu'ont disparu les draps mortuaires : le cercueil est exposé nu. Elle se "prépare" comme les mariages maintenant, sous la direction du prêtre et de l'équipe de paroissiens qui l'épaulent. Les proches sont invités à participer à travers quelques gestes symboliques, voire en lisant des textes personnels sur le mort comme dans les cérémonies laïques. L'équipe pastorale (la plupart sont de jeunes retraitées énergiques, croyantes certes, mais qui voient aussi là une façon de se retrouver et d'occuper utilement leur temps) fait office de chorale et entonne des chants très éloignés des affres métaphysique de la liturgie catholique traditionnelle, plutôt le genre "verte prairie" et "fontaine où on se désaltère". Le curé, ancien éducateur à vocation tardive, porte sous ses habits sacerdotaux des "Nike". Il est vrai qu'aussitôt après la messe il enfourchera sa moto pour aller à l'autre bout du canton préparer un mariage ou faire un baptême. A la fin tout les assistants défilent devant la famille et le cercueil : seules les femmes s'habillent encore, très peu d'hommes avec une veste ou une cravate, beaucoup de jeans, parfois même un jogging...J'ai vu un jour, au coeur de l'été, quelques bermudas dans un cortège. A un enterrement comme partout, venez comme vous êtes...Seules les personnes les plus proches de la famille iront au cimetière (et il faut beaucoup de subtilité pour savoir si votre présence est souhaitée ou, au contraire, déplacée. Elle vous donne droit, en général, à une collation qu'offre la famille). Ce cimetière dispose maintenant d'un columbarium tant la pratique de l'incinération s'est développée depuis qu'il n'y a plus aucun obstacle religieux. Après les dernières condoléances et embrassades, le cercueil est descendu dans la fosse, les gens s'éloignent par petits groupes. Fin de la cérémonie.  

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Commentaires
L
Hé oui, la mort n'est plus ce qu'elle était : une occasion de réunion d'un village, chaque famille était généralement représentée, et une suite de rituels qui donnaient à la cérémonie une réelle valeur. J'ai d'ailleurs écrit une chronique sur ce sujet. Aujourd'hui on escamote, on cache. La mort ne fait plus partie de la vie sinon par les images dramatiques exposées à satiété par les télévisions. Mais la vie, et la mort, d'un village n'est plus, non plus, ce qu'elle était. J'en garde malgré touti un brin de nostalgie. Celle de mon enfance et celle d'une vie plus conviviale.
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