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Causons derechef
18 janvier 2016

Depardieu : souvenirs d'un cinéphile obscur

 

La Cinémathèque rend hommage actuellement à Gérard Depardieu, choix incontestable puisque sa renommée est l'égale de celle d'un Gabin ou d'un Delon qui ont incarné comme lui le cinéma français de leur époque et même, dans une certaine mesure, la France. Grâce à son talent et à sa sensibilité son physique s'est imposé bien qu'il fût tout-à-fait différent de celui des stars masculines : assez vite le beau visage du jeune homme au sourire charmeur est devenu une trogne et son corps s'est année après année alourdi jusqu'à en faire une sorte de Falstaff, voire de Gargantua dont il a les appétits. Peu à peu le cinéma l'a abandonné ou plutôt tous les grands réalisateurs avec qui il avait tourné sont morts ou se sont tus. Peut-être cela explique-t-il son exil dans une improbable "république" de la Poutinie et ses déclarations provocantes : de quel amour déçu...Mais les cinéphiles lui pardonnent et n'oublient pas tout ce qu'il leur a donné.

Les valseuses. C'est sûrement le film emblématique de Depardieu, même s'il devait autant à Dewaere et à Bertrand Blier. C'est le film qui l'a lancé en faisant (on ne le disait pas encore à l'époque) un sacré buzz. Le titre d'abord qu'on pouvait lire - accompagné d'un dessin très explicite - sur tous les murs de France était un royal pied-de-nez au bon goût, ces deux personnages de petits voyous cyniques et rigolards lancés dans un parodie de road movie, leurs provocations multiples ont fait rugir les défenseurs de la morale. Celui qui était sorti des "quartiers" du Mans a dû jubiler à le tourner. Comment oublier l'ouverture en fanfare où les deux lurons sur un parking de supermarché terrorisent un ménagère, ou Miou Miou trop sentimentale et foutue à la flotte ou encore la scène sublime où ils titillent les seins d'une Brigitte Fossey bien complaisante malgré ses grands yeux candides ?...

Depardieu et Duras. Ce serait l'histoire d'une femme écrivaine. C'est-à-dire qu'elle écrit tout ce qui lui passe par la tête. Un jeune acteur très viril viendrait lui rendre visite chez elle. Elle a une petite maison près de Paris. Elle lui dirait qu'il serait un camionneur et ramasserait une auto-stoppeuse qui monterait dans son camion et parlerait. A ce moment il l'interrompt, mais elle, elle reprend bien vite le crachoir...Ou alors dans Nathalie Granger Depardieu tout jeunot (le film est de 72) est un représentant timide qui se présente dans une maison (la même ?) où vivent deux femmes. Il repart sans avoir rien vendu et elles, elles continuent à parler...Improbable rencontre entre cet écrivain à la réputation (injuste) d'être difficile, de cette petite bonne femme et de cet acteur qui semble brut de décoffrage, mais dont la sensibilité et l'intelligence vont la séduire.

Depardieu et Pialat. Ces deux-là ne pouvaient qu'être proches, même mélange de violence et de douceur, même origine modeste, tendresse et colère mêlées, même marginalité : elle a toujours eté là chez Pialat et est venu à Depardieu sur le tard. Le cinéaste fait jouer son propre rôle à l'acteur dans un de ses films autobiographiques, Le garçu, et à l'inverse il donne à l'ancien loubard le rôle de Loulou. Le film est délectable et tragique avec une Isabelle Huppert délurée, Guy Marchand en cocu, des gags comme le lit qui s'effondre et la chanson populaire "Célimène" qui lui donne son rythme. L'acteur et le réalisateur se retrouvent face à face dans l'admirable adaptation de Sous le soleil de Satan, ce film qu'un public ignare osa siffler à Cannes, ce qui lui valut un bras d'honneur magistral et méprisant de la part du réalisateur. Depardieu y est un abbé Donissan tourmenté  et hanté par le Mal, Pialat dans le rôle de l'abbé Menou-Segrais est une sorte de père qui cherche à le tempérer. Et l'Artois est magnifiquement filmé  avec son "grand vent noir qui vient de l'Ouest", ses chemins boueux où on peut croiser Satan sous les traits d'un maquignon. Mais la scène la plus bouleversante jouée par Depardieu dans un film de Pialat est celle du baiser de Police. Pendant une éternité il semble ne pas pouvoir se déprendre de Sophie Marceau, prenant et reprenant sa bouche, la pressant contre lui comme si elle devait lui échapper. Le plus beau baiser du cinéma, je le jure.

Depardieu en héros national dans deux films. Dans le Danton de Wajda il tient le rôle-titre. Il est l'homme plein de sang et d'appétits qui s'oppose au foutriquet Robespierre, le révolutionnaire las de la révolution, du sang qui coule et de la guerre civile, celui qui a sauvé la patrie mais rêve de réconciliation, une grande figure symbolique de notre Histoire. Dans Cyrano de Bergerac, il incarne un héros mythique (même si le personnage a existé) qui fait rêver les Français. Ah, être mousquetaire, truculent et héroïque (peut-être pas laid, tout de même...), défier ses adversaires avec verve et mourir avec élégance...

Depardieu et la passion. S'il a eu évidemment joué beaucoup de rôles d'amoureux, je me souviens particulièrement de deux films où la passion était porté au paroxysme et atteignait une dimension tragique : Dites-lui que je l'aime de Claude Miller et la sublime Femme d'à côté de Truffaut. Dans le premier, petit comptable tranquille, il sombre dans le plus profond délire amoureux pour une femme, la belle Dominique Laffin (qui mourut trop tôt), celle-ci ne l'aime pas et il finira par la tuer ainsi que celle qui l'aimait en secret. Dans le second ce qui pourrait n'être qu'un adultère banal finit aussi tragiquement mais le climax, c'est quand les deux ex-amants qui viennent de se retrouver se donnent un premier baiser  qui fait littéralement s'évanouir la belle Fanny Ardant qu'il tient dans ses bras. Ce n'est pas à nous que des choses pareilles arriveraient...

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