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Causons derechef
14 juin 2015

Philippe Garrel ou le cinéaste du Xème arrondissement

L'ombre des femmes ressemble aux autres films de Garrel : du noir et blanc ou plutôt de très beaux gris comme le grain de la pierre dans le premier plan (même si une de ses plus belle oeuvres, J'entends plus la guitare, est en couleur), des histoires d'amour et de couples filmées en plans rapprochés, mais, parce que j' ai été plus attentif aux extérieurs, il m'a semblé qu'il y avait aussi entre eux une unité de lieu due peut-être au fait qu'il filme toujours les intérieurs dans le même appartement, le sien ou celui d'amis et donc dans les mêmes rues du même coin de Paris. On retrouve ce décor avec le même plaisir que celui du château de Dracula ou du night club de Rick dans Casablanca. Quand je dis "Xème arrondissement", ce pourrait être dans tel ou tel autre quartier qui définirait socialement de la même façon les personnages. Pas le Vème intellectuel (mais l'est-il encore ?), pas le XIème bobo et branchouille qui pue la start up, pas le Marais où grouillent les cultureux prétentieux, non, un arrondissement qui n'offre rien au touriste, sans charme particulier, avec ses immeubles post-hausmannien banals qui abritent une population de petits bourgeois laborieux qui vivent dans le décor du vieux couple interviewé au début du film, celui de l'appartement de Maigret. Ce n'est même pas le Paris populaire et Garrel gomme l'exotisme des deux communautés installées dans cet arrondissement et qui pourraient lui donner du pittoresque. Dans ces immeubles l'escalier n'a pas de tapis et les murs sont un peu lépreux (a-t-on jamais vu un personnage de Garrel prendre un ascenseur ?...) et on arrive à l'appartement. La peinture des fenêtres qui donnent sur une cour-puits s'écaille et on sent qu'elles joignent mal, les pièces sont mal disposées et meublées de bric et de broc : une table pour manger, une table pour travailler, des étagères pour les livres et le lit qui est le centre de tout, pas de télé. On imagine les habitants arrivés jeunes à Paris avec des ambitions littéraires ou artistiques, s'installant dans cet arrondissement bon marché et y restant parce que leur carrière est un échec. S'il y a unité de lieu, il y a aussi unité de temps, semble-t-il. Dans L'ombre des femmes on entrevoit tout juste un ordinateur et on est tout étonné de voir les personnages se servir parfois d'un portable, le temps semble s'être arrêté dans les années70.

Cette répétition du décor permet, un peu comme l'antichambre dans les tragédies classiques, de se concentrer sur les héros et leurs états d'âme. Et la  temporalité très vague donne une valeur universelle aux histoires racontées même si on sait qu'elles sont souvent autobiographiques. Il s'agit des histoires éternelles d'amour, de couple, de trahison, de jalousie, c'est la grande affaire de ces personnages qui ont renoncé à toute ambition sociale, voire artistique. Dans L'ombre des femmes c'est juste un peu plus compliqué que dans Britannicus, mais aussi banal que dans la vie des gens. Les comédiens et la façon de les diriger sont essentiels dans ce genre de cinéma et Garrel a toujours su les choisir, souvent un peu à la marge.Quand il a fait jouer Deneuve dans un film, le résultat fut assez piètre. Dans ce film, Stanislas Merhar, renfermé et presque mutique, est convaincant mais les deux comédiennes sont, elles, remarquables : Léna Paugam, avec son visage à la beauté étrange et bouleversante, toujours au bord du rire ou des larmes (tout est dans les visages qui reçoivent les caresses, les corps sont presque absents) et surtout Clotilde Courau. C'est toujours un bonheur pour qui aime les actrices de découvrir que telle ou telle qui jusque là nous avait paru insignifiante pouvait se révéler extraordinaire, miracle que Garrel avait déjà accompli avec Laura Smet dans La frontière de l'aube. Cette tragédie ordinaire semble se dérouler de façon implacable jusqu'à la mort de l'amour et à la séparation, scandée par une voix off qui permet des ellipses dans le récit et pourrait être aussi celle du Destin, mais Garrel s'autorise une pirouette (révérence gardée) et un personnage secondaire va jouer le rôle de deus ex machina et tout finit presque comme un conte de fée. Le réalisateur tourmenté s'apaise un peu avec l'âge...En tout cas je tiens ce film pour un de ses meilleurs (avec les deux déjà nommés et Liberté, la nuit et je mettrais volontiers son réalisateur dans le panthéon des grands cinéastes français marginaux avec Allio, Pialat, Vecchiali...

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