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Causons derechef
2 novembre 2014

La guerre d'Algérie au village ou Assez de commémorations !

Quelle rage a-t-on de commémorer quasiment tous les ans le début ou la fin de la guerre d' Algérie ? Les 50 ans, passe encore mais cette année c'est le soixantième anniversaire. Pourquoi pas le 61ème en 2015 tant qu'on y est ! Ce qui a été une victoire et une libération pour les Algériens fut quand-même pour nous une défaite, qu'on le veuille ou non, et n'est pas un souvenir agréable. Il me semble surtout que cet évènement n'a pas eu l'importance qu'on lui prête et voici mon témoignage pour ce qu'il vaut.

J'étais très jeune quand elle a commencé et je me souviens surtout des mots entendus à la radio (deux postes de télé en tout et pour tout dans le village à l'époque) : rebelles, fellaghas, mot que nous avions déformé en "Fait caca". Dans certains journaux des illustrations dans le style Détective les montrait l'air féroce, habillés de guenilles, tendant des embuscades plutôt que de se battre à la loyale. Avec l'envoi du contingent cette guerre nous toucha plus directement. Pour l'Indochine il n'y avait eu que quelques têtes brûlées, maintenant tout le monde ou peu s'en faut devait y aller. Au plus fort des "évènements" certains partirent 27 mois. Est-ce la résignation paysanne, la perspective d'échapper quelque temps aux travaux des champs sous la coupe du père, l'attrait de l'exotisme (ce fut pour beaucoup leur premier voyage) ou même du  patriotisme, peu grognèrent et aucun ne déserta ? Lors de leurs permissions ils évoquaient le bled, les moukères et ces grands féodaux pieds-noirs qui ne leur donnaient même pas un verre d'eau quand ils gardaient leurs fermes. L'un d'eux tomba et il y eut une belle cérémonie au cimetière avec drapeau, sonnerie aux morts, discours du maire, du curé, de l'instituteur et d'un officier voué à cette tâche. Aucun vent de révolte ne souffla et bientôt son nom fut gravé sur le monument aux morts où ils faisait piètre figure à côté des victimes de la grande saignée de 14-18 ou même de ceux de 39-45. Puis peu à peu tous rentrèrent et finirent d'user dans les champs leurs treillis militaires. Des clubs d'anciens de l'AFN se constituèrent avec jeux de cartes, méchouis, voyages organisés, d'abord le Mont-saint-Michel et plus tard Bangkok...On y partageait des souvenirs  sans censure à ma connaissance, aucun des anciens ne devint tueur en série ou ne sombra dans la plus noire dépression. Or statistiquement, vu le nombre d'appelés, certains ont dû connaître des accrochages violents, voire des corvées de bois . Nul n'en sembla traumatisé et je me demande si on n'a pas gonflé par anticolonialisme cette souffrance des anciens combattants d'Algérie.

A la fin des années 50 on me mit interne au lycée voisin. Je me souviens qu'en 1961 au moment du putsch des généraux (le pronunciamento dit le Général qui savait choisir ses mots) nous espérions qu'un pion que nous détestions verrait son sursis supprimé. Ce ne fut pas le cas. C'est ainsi qu'on perd les guerres...Par révolte adolescente je me proclamais "Algérie française" et pro-OAS. Je me rappelle la une bordée de noir de l'hebdo monarchiste Aspects de la France et son titre "La France en deuil d'une province" en mars 62. Au printemps 62 les pieds noirs débarquèrent au lycée avec leurs noms espagnols, leur accent et leurs expressions pataouètes qui nous faisaient rire. Je me souviens encore de "Va te chier, va". Ils n'avaient que le palmier de la cour d'honneur pour se rappeler là-bas et nous parlaient avec rancoeur des barbouzes qui leur tiraient dessus. Un professeur - un seul - fit grève après le massacre de la rue d'Isly. Il y eut encore quelques épisodes burlesques : l'enlèvement d'Argoud à Munich, l'adjudant Robin s'évadant du pénitencier de l'île de Ré. Puis les choses s'estompèrent et Mai 68 balaya tout ça. Les militants se référaient à la Résistance, voire à la guerre d'Espagne et le Vietnam et Cuba remplaçaient la lutte anticolonialiste. L'Algérie était oubliée. Des historiens ont continué à travailler sur le sujet, notamment la torture, les noyades d'octobre 61 mais pour la grande masse des gens elle ne représente plus rien. On a l'impression que certains cherchent à ranimer une flamme alors que les passions sont éteintes et que le temps a fait son oeuvre. 

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Commentaires
L
Je partage les mêmes souvenirs à ceci prés que mes frères aînés firent partie des appelés à participer à l’"apaisement" des Aurès. Je retrace quelques uns des souvenirs de l'un deux dans mon livre "Le bicyclette abandonnée". Tous ne rentrèrent pas aussi indemnes que vous l'exposez. Mais c'est vrai que la fin ne fut qu'un soulagement pour la population en général.
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