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Causons derechef
22 janvier 2013

Souvenirs obscurs d'un pensionnaire : l'année 1963

La commémoration du traité franco-allemand de 1963 fait remonter les souvenirs de cette année là. Voici ce qui surnage : je me suis interdit de consulter une chronologie, il se peut que j'ai déplacé l'un ou l'autre évènement.

  Du traité lui-même je ne me rappelle qu'un dessin dans le Canard enchaîné, de Moisan probablement.Il représentait deux chevaliers du Moyen-âge spectraux avec les traits d'Adenauer et de De Gaulle et avait pour légende ces vers de Verlaine : "Dans le vieux parc solitaire et glacé / Deux formes ont tout à l'heure passé.". Ce fut une rude année pour le Grand Charles (surnom d'époque) et son pouvoir, l'affaire algérienne étant réglée, connut ses premières fêlures. Aucune grève ne fut plus populaire que celle des mineurs de charbon qui dura cinq semaines. Il avait commis la maladresse de les réquisitionner, mais nous n'étions plus en 45, pas de Thorez pour appeler au relèvement du pays. Je me rappelle avoir donné quelques sous sur le marché à des gueules noires pour soutenir un combat qu'ils gagnèrent. Dans le même temps De Gaulle fit fusiller Bastien-Thiry responsable de l'attentat du Petit-Clamart.Il avait comparu devant une cour spéciale avec ses complices dont un certain Bougrenet de la Tocquenaye. C'était assez amusant ces noms à charnière et ces noms qui se dévissent, cette France traditionnelle et patriote qui se dressait contre le chef d'état qui ne l'était pas moins. Je me souviens que Bastien-thiry était polytechnicien, ce qui impressionnait, que les conjurés, bons catholiques, invoquaient des écrits de Thomas d'Aquin sur le tyrannicide, d'Isorni et de Tixier-Vignancourt, avocats de l'OAS. Le président refusa sa grâce, ce qui indigna bien des gens y compris de gauche et l'extrême-droite ressortit le cadavre bouffé aux vers de Brasillach.Je peux dire aussi où j'étais ou presque quand Kennedy fut assassiné. En fait je me souviens d'un "France-soir" avec photos de l'attentat qui circulait au foyer des internes en fin de matinée, mais les externes avaient dû nous affranchir dès 8h du matin. Ngo Dinh Ziem (Diem) fut aussi assassiné à la Toussaint de cette année là et j'ai dit ailleurs combien sa tigresse de belle-soeur m'avait fasciné avec son ao dai collante et son sourire cruel quand elle justifiait les "barbecues de bonzes" à la télé. On se serait cru dans Le jardin des supplices. Cocteau et Piaf moururent le même jour, ce qui entraîna des rapprochements hasardeux entre deux personnalités que tout semblait séparer. L'un raffiné, papillonnant, artiste et écrivain doué, fréquentant chez les Noailles, l'autre de très pauvre extrace, laide et assez vulgaire pour épouser son coiffeur mais avec une voix exceptionnelle. Je trouvais du charme à l'écrivain et méprisait à tort la chanteuse (on est bête quand on est jeune), mais après tout ils avaient quand-même quelque chose en commun : l'amour des hommes. C'est en 1963 aussi que j'ai vu pour la première fois les Beatles à la télévision. Fan de Brassens et de Brel je n'appréciais ni leur musique ni leurs guitares électriques, ni leur coupe de cheveux. Le temps m'a un peu ouvert les oreilles depuis...C'est aussi l'année de mon premier voyage en Angleterre où Harold Wilson allait bientôt remplacer Mac Millan, cet Ecossais qui ressemblait tellement à un gentleman anglais. Je me rappelle encore l'odeur de fumée de charbon et de tabac blond dans les wagons à peluche rouge, les bus à étages qui étaient verts dans cette ville de province et les enclos des églises. C'est aussi l'année où je lus Voyage au bout de la nuit. Ce ne fut pas vraiment un choc car j'avais découvert Céline un ou deux ans auparavant avec Mort à crédit, livre autrement violent et littérairement révolutionnaire. Je suis resté longtemps célinien.

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